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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/686

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n’avait été qu’étourdie et qu’il tenait dans le coin d’un buisson, attachée par la patte.

J’avais quitté mes petits garçons, et pour revenir ici, je remontais la colline, plongé dans de très-graves réflexions sur l’éducation, lorsque j’ai rencontré la pension de Brunoy toute entière, maîtres et élèves, qui marchaient par groupes répandus sur un long espace de terrain avec assez peu d’ordre comme à la suite d’une longue course.

En voyant une pension, il m’a toujours semblé qu’on pouvait démêler les caractères futurs dans les habitudes présentes, et par suite le rôle que joueront ces jeunes acteurs sur le grand théâtre de la vie. En avant avec le maître marchaient deux jeunes gens qui paraissaient être ses favoris ; l’un d’eux portait son chapeau, l’autre le questionnait et recevait ses oracles, et lui répondait d’un air empressé. Voilà, me disais-je, des hommes qui s’approcheront des sources du pouvoir, qui trouveront que les gens en place et les gens riches n’ont jamais tort, et pour lesquels seront toutes les grâces.

Un élève grimpait à genoux pour attraper un scarabée sur l’escarpement qui bordait le chemin. Il l’atteint, le saisit, redescend avec sa proie, l’examine, développe avec une épingle ses antennes, ses ailes… Voilà, me dis-je, un naturaliste, que l’attrait des observations rendra étranger au monde et aux affaires.

Un groupe de rieurs venait ensuite et se tenant par le bras, sautaient plutôt qu’ils ne marchaient autour d’un conteur plaisant qui les divertissait. Le conteur, me suis-je dit, cherchera les succès de société et fera son bonheur de plaire dans le monde. Les autres, sans songer aux études, sans songer aux affaires, iront où le plaisir les appellera.

Un élève d’un air sombre, marchait seul de l’autre côté du chemin, ne s’entretenant qu’avec lui-même, il paraissait jaloux du succès des uns et du plaisir des autres. Dieu vous garde, mes bons amis ! La jaquette de celui-ci enferme un futur usurpateur qui médite sur les moyens de vous dominer et de vous amener par la force à faire attention à lui. »

Notre promeneur en était là de sa narration, lorsque Froidure ayant achevé son somme, ou bien ne l’ayant pas commencé, vint au jardin retrouver la compagnie. Je vous conterai le reste une autre fois, dit Vertage ; on insista pour avoir la suite, il ne voulut pas la donner. Aussi bien il se fait tard, ajouta-t-il.

Lors une de ces dames s’adressant au grand jeune homme : « En vérité, Monsieur Froidure, lui dit-elle, il est fâcheux que vous ayez mal choisi votre promenade ; car si vous étiez allé du même côté que Monsieur, vous vous seriez fort amusé. Par où avez-vous donc passé, pour vous ennuyer comme vous avez fait ?