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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/166

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CHRÉTIENNE


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ÉCOLE CllHÉTILNNE


villes et des corporations cl los déclare inca- pables de faire un testament  ; enfin en 13H, au concile de Vienne, Clément V frappe de nullité toute loi émanant d’une autorité tem- porelle, qui serait en contradiction avec la doctrine de l’Église entendue dans son accep- tion la plus stricte. Cependant, prisonnière du texte de l’Évangile, celle-ci cherchait à s’appuyer sur des raisons d’ordre naturel et, pour y arriver, saint Thomas d’Aquin établit une distinction entre les choses qui demeu- rent après l’usage et celles, comme le vin et le blé, qu’il fait disparaître. Pour ces der- nières l’usage de la chose est d’après lui in- séparable de la chose elle-même  : celui qui vendrait à part du vin et l’usage de ce vin, vendrait deux fois une même chose ou ven- drait ce qui n’existe pas et se rendrait ainsi coupable du péché manifeste d’injustice. Or, au dired’Aristote, qui est pour saint Thomas le philosophe par excellence, la monnaie a été inventée pour servir aux échanges  ; son usage propre et principal est d’être consom- mée et de disparaître dans l’échange  : il est donc illicite en soi d’accepter le prix de l’usage d’une somme de monnaie prêtée. Quelque portés que nous soyons à nous ré- crier contre cette argumentation, il convient pourtant d’avouer qu’au temps où vivait saint Thomas, cette méprise était plus excu- sable que chez Aristote  : depuis plusieurs siècles, le produit des emprunts était presque invariablement absorbé par des dépenses improductives, qui ne laissaient rien après elles. Le moyen âge pouvait croire à l’im- productivité du capital-monnaie, puisque celui-ci n’existait pour ainsi dire plus, ou que le peu qui en existait, semblait s’anéantir dans des consommations sans lendemain, qu’elles fussent dictées par les appétits de luxe des grands ou la détresse des petits. On s’explique delà même façon que les cano- nistes aient affirmé que la monnaie, qui était devenue un instrument de thésaurisation, n’enfante point de monnaie. Théologique- ment parlant, ils ajoutaient que le temps, qui n’appartient qu’à Dieu, ne doit pas faire l’objet d’un marché à titre onéreux. Toutefois l’existence du préjugé théologique fondé sur la lettre de l’Écriture, a seule dû empêcher un esprit aussi pénétrant que saint Thomas de reconnaître que quelques mesures de blé prêtées pour être confiées à la terre, deviennent pour l’emprunteur une source de gain légitime et qu’à ce titre, cet emprunt peut donner lieu à une rétribution également légitime. A vrai dire, la conviction que « l’usure est une rapine » et même une rapine contre nature, était une conviction universellement répandue  : Uante relègue


les usuriers avec les sodomites au plus pro- fond du septième cercle de l’enfer.

Néanmoins cette ère de stagnation tirait à sa lin et les commentateurs du droit canon allaient se trouver aux prises avec la tâche épineuse de faire plier la rigueur de leur règle tout en la maintenant en principe. Le commerce méditerranéen reprenait son essor  ; même dans nos régions septentrionales, les relations commerciales allaient se nouer entre les contrées voisines  ; partout l’instinct économique se réveillait. Sans sortii’ de France, nous voyons dans le curieux registre de ses tournées pastorales qu’il nous a laissé, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen de 1248 à 1209, exhaler sa douleur au sujet des curés de son diocèse qui s’adonnent au né- goce et à l’armement des navires et ne craignent pas de faire des ventes de blés à livrer. Si des clercs s’enhardissaient et allaient jusqu’à enfreindre aussi eiïrontéraent les injonctions pontificales, les laïques et les marchands de profession devaient s’y montrer encore plus rebelles. Dans son intéressant Mémoire sur les opérations financières des Tem- pliers, M. Léopold Delisle exprime de son côté l’opinion que, sous une forme ou une autre, ceux-ci devaient toucher les intérêts des sommes dont ils restaient souvent long- temps à découvert, mais il avoue qu’il est réduit à des conjectures portant sur des sommes que les Templiers réclamaient pour frais (pro cusdlms) payés à des marchands, c’est-à-dire évidemment à des banquiers.

La faculté de percevoir une pœna conven- tionalis ou usure piinitoire en cas de non-rem- boursement au ternie prévu, servit de transi- tion entre la proscription absolue de l’usure et la validation du prêt à intérêt commer- cial. Déjà saint Thomas déclare que le prê- teur peut sans pécher convenir avec l’em- prunteur qu’il sera dédommagé de toute dé- falcation sur le montant de ce qui lui revient, mais il ne lui permet pas de stipuler une indemnité le couvrant d’un profit qui lui échappe  ; pour parler le langage scolastique, saint Thomas sanctionne l’indemnité accor- dée du chef du damnum cmergens, mais rejette celle qu’on pourrait allouer du chef du lu- crum cessans. En pratique on se tirait d’atl’aire en concluant des contrats de prêts gratuits à brève échéance, et en prévoyant une in- demnité calculée à raison de tant pour cent en cas de non-remboursement au terme fixé  ; en fait ces contrats étaient productifs d’in- térêts, sauf pendant un court intervalle ini- tial de prêt gratuit. A la vérité, il fallait prouver la réalité du dommage subi, mais on s’habitua à se contenter de présomptions, et à partir du quinzième siècle, les tribunaux


Kcoi.