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Page:Schœlcher - Le procès de Marie-Galante, 1851.djvu/58

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vrier et réintégré par M. le gouverneur Favre au poste de premier substitut intérimaire du procureur général, s’était rendu de sa personne à Fort-de-France pour arracher à l’ignorance et à la faiblesse de M. Bruat cet arrêt de permutation, qui portait la plus profonde atteinte à l’indépendance de la magistrature.

Enlever un juge à son siège dans un but déterminé, c’est une énormité qui n’a guère d’exemple même dans les annales de la justice coloniale, si féconde en ce genre. Dès que M. Perrinon et moi en fûmes instruits, nous remîmes à M. Odilon Barrot, ministre de la justice, la note suivante, qu’il importe de reproduire ici parce qu’elle appartient réellement au procès :


« Monsieur le ministre,

« La dernière lutte électorale à la Guadeloupe, qui amena la nomination à une immense majorité de MM. Perrinon et Schœlcher comme représentants du peuple, a été précédée et suivie de collisions très-fâcheuses. Des causes, des origines diverses ont été assignées à ces déplorables scènes. Le devoir de rechercher la vérité sur ce point était imposé au pouvoir judiciaire ; mais personne n’ignore quels redoutables écueils créent à l’administration de la justice, dans les colonies, les passions violentes et les intérêts si divers des races qui composent la population. La mission des magistrats était donc plus délicate qu’à aucune autre époque, et comportait des conditions exceptionnelles d’indépendance, d’énergie et d’impartialité. Quelles mesures ont été prises pour assurer à l’instrument judiciaire la parfaite sincérité de ses opérations, la rigoureuse vérité de ses résultats ?

« L’organisation de la justice coloniale ne consacre pas au profit des membres des Cours de justice l’inamovibilité, cette garantie fondamentale de la liberté de conscience du juge, des droits du justiciable, des intérêts de la société ; la protection de la loi se réduit à la prescription d’un roulement. Tous les six mois, les services judiciaires, la composition des Chambres civiles et d’accusation, celle des Cours d’assises sont réglés par le président de la Cour d’appel.