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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/169

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intuitions et de ces sentiments, ce qui est assurément la tâche qui m’incombe en tout premier lieu à votre égard, permettez-moi de m’arrêter d’abord un [72] instant au regret que j’ai de ne pouvoir parler que séparément des premières et des secondes. Il résulte de là que je ne puis faire entrer dans mon discours ce qu’il y a de plus subtil dans l’esprit de la religion ; son secret le plus intime, je ne peux le dévoiler que par des propos hésitants et incertains. Cela vient de ce que ces intuitions sont séparées de ces sentiments par une réflexion qui est chose nécessaire, et comment donc pourrait-on parler sur n’importe quoi qui relève de la conscience psychologique, sans passer d’abord par ce médium. Ce n’est pas seulement quand nous communiquons un acte intérieur de l’esprit, c’est aussi quand nous voulons simplement faire de lui en nous-même un objet d’observation et l’attirer sur le plan de la conscience psychologique distincte, qu’immédiatement se produit cette inévitable séparation. Le fait qui survient se combine avec la conscience originelle de notre double activité : la dominante qui se projette au dehors, et celle qui ne fait que dessiner et copier, et semble plutôt asservie aux choses ; aussitôt, à ce contact, la matière la plus simple se décompose en deux éléments opposés : les uns s’assemblent pour former l’image d’un objet, les autres se frayent un passage jusqu’au centre de notre être ; là, mêlés à nos instincts primordiaux, ils entrent en effervescence et donnent naissance à un sentiment fugitif.

En ce qui concerne l’activité créatrice la plus intime du sens religieux aussi, nous ne pouvons échapper [73] à ce destin : nous ne pouvons appeler à la surface et communiquer les produits de cette activité que sous cette forme dissociée. Mais ne croyez pas — c’est là une des erreurs les plus dangereuses — qu’intuitions et sentiments religieux puissent être originairement aussi, dans l’acte primordial de l’esprit, séparés et distincts comme ils le sont tels que nous devons malheureusement les examiner ici. L’intuition sans le sentiment n’est rien et ne peut savoir ni l’origine ni, la force qu’elle devrait avoir ; le sentiment sans l’intuition lui aussi n’est rien : tous deux