Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/171

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le sacré destin me pardonner d’avoir dû dévoiler des mystères plus qu’éleusiniens[1].

Cette heure est celle de la naissance de tout ce qu’il y a de vivant dans la religion. Mais il en est d’elle comme de la première prise de conscience de l’homme, qui se replie dans l’obscurité d’une création primordiale et éternelle, et ne laisse après elle à l’être humain que ce qu’elle a produit. Je ne peux rendre présents à votre esprit que les intuitions et les sentiments qui se développent comme suite à de semblables moments. Mais laissez-moi vous le dire : si complètement que vous compreniez ces intuitions et sentiments[2] et quand bien même vous croiriez en avoir en vous la plus claire conscience, si vous ne savez pas et ne pouvez pas faire voir qu’ils et elles sont nés en vous de semblables instants, et ont été originellement un et inséparés, dans ce cas ne cherchez pas davantage à vous persuader et à me persuader : il n’en est pas ainsi ; votre âme n’a jamais conçu ; ce sont des enfants supposés, produits d’autres âmes, que vous avez adoptés dans le sentiment secret de votre propre faiblesse. Je vous signale comme impies et éloignés de toute vie divine ceux qui se pavanent ainsi [76] faisant étalage de religion.

En voici un qui a des intuitions du monde, et des formules qui doivent les exprimer ; en voilà un autre qui a des sentiments, et des expériences intimes dont il fait des preuves documentaires de ces sentiments. Le premier entrelace ses formules ; le second tisse ses expériences, de façon à en faire une ordonnance de salut ; et maintenant, on discute combien il faut prendre de concepts et d’explications, combien d’émotions et de sentiments, pour en composer une religion ayant les qualités requises, qui ne soit ni froide ni exaltée. Ô insensés ! Hommes au cœur mou ! Ne savez-vous pas que tous ces éléments ne sont que les produits d’une décomposition du sens religieux que votre réflexion aurait dû opérer elle-même,

  1. B laisse complètement tomber cette description d’un ton si romantique et littérairement si bien venue de l’intuition extatique et y substitue une comparaison en quelques lignes, exempte de tout érotisme, avec le moment de la fructification végétale.
  2. A disait plus vaguement : « ceux-ci », et B précise : « ces principes et ces concepts ».