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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/318

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quelque élément étranger, ou même de recéler encore en lui un principe de corruption, il ne recule pas même devant les mouvements intérieurs les plus violents pour l’extirper. C’est là l’histoire du christianisme telle qu’elle résulte de sa nature essentielle. Je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée[1], dit son fondateur, dont l’âme si douce ne peut pas avoir eu l’idée qu’il fût venu pour occasionner les mouvements sanglants qui sont si contraires à l’esprit de la religion, ou ces misérables disputes de mots qui se rapportent à la matière morte qu’exclut la religion vivante ; il n’a prévu et, les prévoyant, ordonné, que ces guerres saintes qui naissent nécessairement du centre essentiel de sa doctrine.

[298] Mais la nature des éléments particuliers du christianisme n’est pas seule soumise à ce perpétuel criblage. La suite ininterrompue de leur existence et de leur vie dans l’âme est elle aussi sous la dépendance de son insatiable besoin d’épurement toujours plus rigoureux et de plénitude toujours plus riche[2]. À chacun des moments où le principe religieux ne peut pas être perçu dans l’âme, on pense que l’irréligieux y est dominant, car ce qui est ne peut être supprimé et anéanti que par son contraire. Toute interruption dans la religion est irréligion. L’âme ne peut pas se sentir un instant dépouillée d’intuitions et de sentiments se rapportant à l’Univers sans prendre conscience en même temps d’une, hostilité et d’un éloignement en ce qui le concerne. C’est ainsi que le christianisme a, le premier et en en faisant une condition essentielle, posé l’exigence que la religiosité doit être dans l’homme un état continu ; il dédaigne, avec les expressions du plus vigoureux mépris, de se satisfaire d’une religiosité qui n’affecterait et ne dominerait que certaines parties de la vie. Elle ne doit jamais se reposer, et rien ne doit lui être diamétralement contraire au point de ne pouvoir s’accorder avec elle ; de n’importe quel point du fini nous devons chercher et saisir du regard l’Infini ; nous devons être en état d’associer à toutes les impressions de l’âme, d’où qu’elles proviennent, [299] à tous les actes, quels

  1. Matthieu X, 34.
  2. Version de C ; A et B disaient d’une façon plus vague : sous la dépendance de son insatiabilité à l’égard de la religion.