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Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/105

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plus grand nombre des hymnes, on peut néanmoins affirmer, sur des preuves suffisantes, que la caste était entièrement inconnue aux pasteurs. Ils se gouvernaient et s’administraient librement eux-mêmes, par délégation populaire, laïquement. À ceux qui le contestent, on accorde seulement que le régime castal est in nuce dans le Rig, et cela en vertu de la disposition native que la race indo-germanique en général et la famille aryo-indienne en particulier ont pour le panthéisme articulé et particulariste. Ce tempérament religieux qui pousse, en tout sens, au séparatisme dans l’universalité une et identique, ce qui explique pourquoi le panthéisme tourne, partout où le jéhovisme, c’est-à-dire l’autocratie politico-religieuse ne l’influence pas, au polythéisme plutôt qu’au monothéisme ; ce tempérament portait les pasteurs védiques, en religion, à concevoir la divinité universelle d’Aditi se manifestant par une foule d’Adityas, et, en politique, à se diviser, eux la viç, la nation, en autant de janâs ou jàtîs, familles ou clans, qu’il était possible de le faire. La religion védique, dont le souffle primordial se fait sentir encore vivement dans les grihyasùtras ([1]), ces rituels domestiques qui, de père en fils se sont précieusement conservés malgré le mélange corrupteur que leur a imposé la mystique du brâhmanisme ; la religion védique transportait les phénomènes célestes sur la terre, et la société védique plaçait les phénomènes politiques dans le ciel ; un fait météorologique se reproduisait dans un rite ([2]), et un fait social, une action héroïque, trouvait son reflet dans les nuages et se fixait dans un mythe cosmique ou tellurique. Mais l’unité des forces divisées était maintenue, sur la terre comme au ciel, par un chef suprême, un suzerain, samraj. Dans le ciel, c’était Varuna-Indra ; sur la terre, la primauté se trouvait dévolue au chef de l’une ou de l’autre des nombreuses tribus, à celui toujours qui avait eu la chance de se distinguer par un haut fait d’armes, par une grande victoire. Les Bhéda, les Sudâs, les Trasadasyu ne manquaient jamais à notre race batailleuse. Comme les anciens Germains, les Aryas, à cause même de

  1. Le souffle du plus naïf naturisme pénètre un grand nombre de passages comme ceux-ci : viçvebhyo devebhyo baliharanam bhütagrihyebhya ûkAçûya ca, il apporte (au premier jour de chaque demi-lune, pakshâdishu) ses offrandes aux dieux domestique élémentaires (l’eau et la terre) et à l’atmosphère. (Grihyas., de Parask., I, 12, 2. Cf. ib., 15, 5 ; 16, 4, 20 ; II, 9, 3 sq.). Sâyam prâtah siddhasya havishyasya juhuyût ubhyaoshadhivanas patibhyo, etc., qu’il fasse soir et matin offrande d’une nourriture préparéeet conforme au rite, aux eaux, herbes et arbres, à la maison, aux dieux domestiques.(Grihy. d’Açvalâyana, 1, 2, 4 ; ib. 4, 1. et surtout ib. 7, qui contient le rite adorablement naïf du mariage, le fiancé disant à l’épousée : « le ciel (c’est) moi ; la terre (c’est) toi : djaur aham prithivi tvam ».
  2. M. Bergaigne a récemment développé cette idée dans son ouvrage sur « la religion védique » ; seulement le savant indianiste que R. Pischel a sévèrement jugé, dans les G.g. Anz., 15 janv. 84, procède avec un esprit enchaîné à un étroit système préconçu. Il donne trop au ciel et à ses phénomènes, et pas assez aux hommes et aux manifestations de la société. Il faudrait enfin reconnaître que les religions étant des créations humaines ont fait et ont dû faire la part léonine à l’homme et à ses actes, et que c’est sur ce patron, c’est-à-dire sur les hommes, qu’elles ont taillé les dieux et les mythes. Le Homo sum est tout et prime tout dans l’humanité.