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Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/19

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lée, suivant la transcription d’Abel Rémusat : San-thsaï-thou-hoeï, l’a relaté au livre IX. Là, après avoir repoussé pour les buddhistes le surnom qu’on leur donnait, à ce qu’il paraît, d’enfants de Brahmâ, on continue en disant : « Les brâhmanes, pho-lo-men, prétendent qu’ils sont nés de la bouche de Brahmâ ; les Kshatriyas, cha-ti-li, de son nombril, les Vaiçyas, pi-che, de ses bras, et les Sûdras, cheou-tho, de ses pieds[1].

Ainsi, les Chinois connaissaient anciennement le système des castes, mais comme ils faisaient naître les kshatriyas du nombril de Brahmâ, et les vaiçyas des bras du dieu, il est douteux que leurs informations sur la genèse du régime fussent puisées à la source canonique du Dharmaçâstra ; elles leur venaient peut-être de quelque Purâna. D’ailleurs peu leur importait, et ce qui le prouve, c’est que quoique les kshatriyas se fussent, au dire de H. Ths., élevés dans l’origine au pouvoir par l’usurpation et le meurtre, et qu’ils fussent issus de familles étrangères, ils constatent que néanmoins leur nom est prononcé avec respect. Un brâhmaniste se serait bien gardé de parler de la sorte, mais la chose était indifférente aux buddhistes ; ce qui les intéressait principalement, c’étaient les brâhmanes, et cela par un motif de prééminence religieuse. Les sûtras buddhiques attribuent en effet à Çâkya la voix de Brahmâ, et l’ascétisme que le buddha enseigne, le devoir buddique par excellence, est désigné par l’expression de brahmacarya[2]. Encore aujourd’hui les prêtres des buddhistes à Java et à Bali portent le nom de bramabuddha[3] Mais sauf cette distinction accordée à Brahmâ et aux choses brâhmaniques, les buddhistes n’avaient aucun égard au prestige que le régime castal donnait à la naissance, et à la position sociale que la naissance fixait aux hommes. Tout s’évanouissait à leurs yeux devant le mérite moral de l’individu, et ce n’est certes pas eux qui auraient érigé en axiome légal le passage déjà cité que le mensonge est préférable à la vérité, salyâd viçishyate, quand il est fait par un motif de piété. Ce qui est certain, c’est que leur patriarche pouvait être un çùdra, tout comme il pouvait être un brâhmane, et il en était de même quant à leurs rois. Presque tous les rois indiens au temps où Hiouen thsang visita la vaste péninsule, à l’époque la plus florissante du buddhisme, sans doute parce qu’il était à la veille de sa chute, presque tous les rois étaient sortis de la caste des çûdras ; çà et là c’était un vaiçya, rarement un kshatriya[4].

  1. V. Foe koue ki, p. 186. Pauthier écrit autrement les noms chinois, à savoir : Po-lo-men, Cha-ti-li, Feï-tche, Seou-to-lo. Il est probable qu’il a raison contre A. Rémusat et Klaproth. Qui sait cependant ? Il n’est pas facile de contrôler la méthode de transcription des uns et des autres par celle passablement diffuse et compliquée de Stanislas Julien.
  2. V. Burnouf, Introd. à l’hist. du Buddh. p. 141.
  3. V. Friederich dans Verhandlingen van het Bataviaasch Genoottschap van Kunsten en Wetenschappen. XXIII.
  4. Hiouen thsang, II, p. 247. Le roi de Kanyâkubja était de la caste des Fei-che ; celui du Népal de la caste des Thsa-ti-li (kshutriyas), etc. (p. 407). Il y en avait même un, celui de Sinhala, dont l’ancêtre était un lion (III, 125). C’est une histoire dans le genre, moins horrifique toutefois, que celle de Lokis, par Mérimée.