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Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/57

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sance déjà suffisamment privilégiée du brâhmane, et il le fait naître avec dix têtes et dix visages : brâhmano jajne prathamo daçairsho daçâsyâh[1]. L’Aitareya brâhmana, le grand rituel du Rik, ne donne pas dans ces fantaisies ; il appuie seulement sur le titre de prééminence du brâhmane, en disant que le râja qui veut sacrifier doit lui céder la première place : tasmâd râja yakshyamâno brâhmanâ puro dadhita[2].

Cette prééminence (nous le verrons clairement par la suite) n’a pas en principe la valeur d’un fait historique, valeur dont la théocratie s’inquiète d’ailleurs fort peu ; la légende elle-même le donne à entendre quand elle nous montre le kshatra Viçvâmitra, vaincu par le brâhmane Vasishtha, maudire le pouvoir historique des kshatriyas et rendre hommage à l’énergie brahmanique, la vraie et véritable puissance[3]. Cependant des hommages exceptionnels et dépendants des circonstances ne pouvaient suffire aux desseins politiques des brâhmanes ; il fallait que tout le monde leur reconnût de foi une prééminence d’origine, et, pour y aider, ils inventèrent en habiles théologiens la genèse divine des castes, puis, l’inscrivirent, comme dogme, partout où ils pouvaient. Seulement, comme on ne pense jamais à tout, ils oublièrent d’effacer dans les documents historiques nombre de passages compromettants pour l’antiquité de leur doctrine, et grâce à cet oubli ou à cette impossibilité, si l’on veut, nous sommes en mesure d’établir la filiation réelle du système.

Toutefois, c’est un sujet qui exige de grandes lectures, de vastes recherches, parce que les renseignements sur les castes se trouvent, nous venons de le dire, dispersés dans tous les ouvrages de la littérature sanscrite : dans les Védas d’abord ; ensuite dans les Brâhmanas qui, commentaires théologiques des hymnes en tant que la liturgie, l’exégèse et le dogme s’y trouvent intéressés, font étroitement partie de la çruti ou Révélation. Puis, viennent les sûtras ; en premier lieu, les sûtras officiels, appelés aussi védangas ou membres des Védas, tout techniques ou cérémoniels, comme la çishâ (contenant les prâtiçâkhyas) et les kalpa ou çrautasûtras, ou purement accessoires, comme les upângas qui sont fort nombreux. Ils contiennent, en effet, non seulement la philosophie orthodoxe, le védânta, et d’autres systèmes, tels que le sânkhya et le yoga, mais encore les codes ou dharmaçâstras, les grandes épopées, le Râmâyana et le Mahâbhârata, puis les Purânas, recueils d’antiques légendes cosmogoniques et héroïques. Joignons-y les grihya ou smârtasûtras, rituels domestiques traditionnels, sorte de brâhmanas non révélés, et les vidhânas qui donnent le rituel d’une foule de faits particuliers, et n’intéressent que la superstition individuelle.

  1. Atharva Veda, IV, 6, 1 ; éd. Roth, p. 53.
  2. Aitareya brâhmana, VIII, 24 ; p. 211, éd. Haug.
  3. Viçvâmitrah kshattrabhâvân nirvano vakyam abravit dhigbalan kshatriyabalam brahmatejo balam balam. (Mahâbhârata, I, 175, çl. 6692 ; I, p. 243.)