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Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/82

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culariste et gradué. C’est donc cette forme du panthéisme qui est la cause génératrice efficiente du régime des castes, mais avant qu’elle aboutit à l’émanation des ancêtres de la caste du corps de Purusha, il y eut plus d’une évolution et révolution.

Le plus difficile du processus était sans doute de porter les kshatriyas à oublier les origines historiques de la position souveraine qu’ils occupaient de mémoire d’homme dans la société aryenne. Ils jouissaient d’une autorité religieuse qui leur venait, disaient-ils, en ligne directe de leurs ancêtres et dont ils avaient hérité de père en fils. Cette autorité se fondait sur la possession de la doctrine de l’Atman, l’âme universelle. Comment faire accepter aux kshatriyas, véritables rois pontifes, une place sociale inférieure à ces prêtres nouveaux venus qui se présentaient sous le nom de brâhmanes ? Jamais la caste sacerdotale n’y parvint complètement. Les kshatriyas aimèrent mieux disparaître du sol indien que d’accepter irrévocablement et sans arrière-pensée le joug clérical complet. On dit encore dans l’Inde, dans quelques parties de ce vaste pays, que ceux qui font le métier des armes sont des kshatriyas ; c’est une façon de parler qui s’explique par une habitude que le texte de la loi, toujours invariable depuis mille ans et plus, contribue à maintenir. Le vrai et véritable kshatria n’existe plus, ou tout au moins il n’existe plus comme caste. Peut être guerrier ou militaire qui veut[1]. L’arme du prêtre bhâratide capable de porter le kshatriya à amener pavillon fut, nous y reviendrons, la pratique de la prière brahma.

Mais ne devançons pas l’histoire. À l’époque où nous en sommes dans cet exposé, on bataillait encore entre brâhmanes et kshatras. Innombrables sont les combats que la prétention réciproque à la primauté sociale, politique et religieuse a suscités et alimentés entre les princes et les prêtres. La légende ne tarit pas sur ce sujet, ainsi qu’on peut s’en convaincre par la lecture des Upanishats, du Râmâyana, du Mahâbhârata, des Purânas et des Itihasas. Même les Brâhmanas, les rituels des Védas, se ressentent de cet état d’animosité réciproque[2]. Au fond, et puisque d’ailleurs possession vaut titre, le kshatriya défendait une cause légitime. Trop souvent sans doute son Atman lui permettait de descendre de son pur ou château, de sortir de derrière son samdih ou enceinte pour faire ce chevalier pillard, ce détrousseur des grands chemins que l’étymologie, de son nom désigne si, comme le pense Grimm, kshatra veut dire « qui fait des blessures ou cause des dommages », schadenstifter[3] ; mais quel qu’ait été son péché originel, qui paraît

  1. « On peut être soldat, de quelque caste que l’on soit, sans compromettre sa noblesse, quoique l’officier sous lequel on sert soit paria ; or, cela arrive fréquemment. » (Perrin, Voyage dans l’Indostan, I, 298 ; 1807.)
  2. Muir a rassemblé et groupé un grand nombre de textes relatifs à ces luttes : Original sanskrit Texts, I, 58 sqq.
  3. V. Zeitsch. für vergl. Sprachforschung, I, p. 83. Dans l’article de Scado, Grimm établit que kshatra dérive d’un radical skad, endommager, blesser, par l’intermédiaire