Aller au contenu

Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre jeunesse, après avoir beaucoup appris et lu, nous entrons souvent dans le monde d’un air à la fois niais et drôle, et nous y montrons tantôt inquiets, tantôt présomptueux. C’est que nous avons la cervelle pleine de notions que nous nous efforçons maintenant d’appliquer, mais que nous appliquons presque toujours mal. C’est le résultat de ce υστερόν προτέρον qui, par un procédé directement opposé au développement naturel de notre esprit, place les notions avant les perceptions. Les éducateurs, en effet, au lieu de reconnaître chez l’enfant les facultés elles-mêmes, de les juger et de songer à les développer, ne s’appliquent qu’à lui bourrer la tête d’idées étrangères et toutes faites. Il s’agit plus tard de corriger par une longue expérience tous ces jugements nés d’une fausse application des notions ; et cela réussit rarement. Voilà pourquoi si peu de lettrés possèdent le sain bon sens qu’on trouve si fréquemment chez les illettrés.

Il résulte de ce que je viens de dire que le point capital de l’éducation serait d’entreprendre par le bon bout la connaissance avec le monde, but véritable de toute éducation. Il faut avant tout, pour cela, qu’en chaque chose la perception précède la notion, la notion étroite la notion plus large, et que l’enseignement tout entier s’effectue dans l’ordre présupposé par les notions des choses. Dès qu’un anneau manque à cette chaîne, il en résulte des notions défectueuses, qui amènent des notions fausses, puis, à la fin, une vue du monde viciée individuellement, comme presque chacun la promène longtemps dans sa tête, et la plupart des gens, toujours. Celui qui s’examine lui-même décou-