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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/15

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san de la réaction aveugle. Tout en trouvant la forme monarchique celle naturelle à l’homme, « à peu près comme elle l’est aux abeilles et aux fourmis, aux grues voyageuses, aux éléphants nomades, aux loups et aux autres animaux réunis pour leurs razzias, qui tous placent un seul d’entre eux à leur tête », il était libéral à sa façon, affirmant que le meilleur gouvernement est en définitive celui qui satisfait le mieux les aspirations de l’humanité et s’efforce le plus de la rendre heureuse. S’il se prononçait pour la royauté, il n’avait cure, en revanche, du droit divin, auquel ses idées philosophiques lui défendaient de croire. La légitimité, disait-il à l’occasion des événements d’Italie, un an avant sa mort, est une belle chose, mais elle ne donne par elle seule aucun droit au succès. Pour être sûr de celui-ci, un gouvernement doit être intellectuellement supérieur à la masse gouvernée ; mais, moralement, son chef ne doit pas être trop noble, être un Titus ou un Marc-Aurèle, ni, en sens opposé, tomber au-dessous du niveau universellement admis comme mesure du droit. En ce sens, il prophétisait à son ami Gwinner la chute de Napoléon III : « Il est trop mauvais », lui disait-il. Il ne portait pas davantage dans son cœur le premier Bonaparte, ainsi qu’on le verra au cours de ce volume.

Schopenhauer rencontre sur son chemin la question du jury criminel, et, en vertu du même courant d’idées aristocratiques, il la résout en un sens peu favorable à cette institution de tout temps si discutée, et de nos jours plus que jamais. Il est vraiment plaisant de l’entendre fulminer contre ces « tailleurs » et ces « tanneurs » dont la « lourde et grossière intelligence, sans culture, pas même capable d’une attention soutenue,… est appelée à démêler la vérité du tissu décevant de l’apparence et de l’erreur. Tout le temps, de plus, ils songent à leur drap et à leur cuir, aspirent à rentrer chez eux, et n’ont absolument aucune notion claire de la différence entre la probabilité et la certitude. C’est avec cette sorte de calcul des probabilités dans leurs têtes stupides, qu’ils décident en confiance de la vie des autres ». La boutade est amusante ; nous laissons à d’autres le soin