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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/167

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nous représenter à notre imagination notre propre personne, comme nous faisons pour toute personne connue ? Une difficulté qui s’oppose, dès le premier pas, au γνωθι σεαυτόν (connais-toi toi-même).

Cela provient incontestablement en partie de ce qu’on ne se voit jamais dans le miroir que le regard droit et immobile, ce qui fait que le jeu si important des yeux, et avec lui la véritable caractéristique de la face, sont à peu près complètement perdus. À cette impossibilité physique semble aussi se joindre une impossibilité éthique de nature analogue. On ne peut jeter sur sa propre image, dans un miroir, un regard étranger, condition nécessaire pour se voir soi-même objectivement. Ce regard repose en effet, en dernière analyse, sur l’égoïsme moral, avec son « non moi » profondément senti ; et ceux-ci sont indispensables pour percevoir au point de vue purement objectif et sans défalcation toutes les défectuosités, ce qui seul laisse apparaître le tableau fidèle et vrai. Au lieu de cela, l’égoïsme en question nous murmure constamment, à l’aspect de notre propre personne dans le miroir : « Ce n’est pas un autre, mais moi-même », qui a l’effet préventif d’un noli me tangere, et met obstacle à la vue purement objective, qui ne paraît pas possible sans un grain de malice.

Personne ne sait quelles forces il porte en lui pour souffrir et pour agir, tant qu’une occasion ne vient pas les mettre en jeu. C’est ainsi qu’on ne voit pas avec quelle impétuosité et quel vacarme l’eau tranquille et unie de l’étang se précipite soudainement du rocher, ou comme elle est capable de jaillir en haut sous forme