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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/175

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constate tout spécialement chez les tragiques français, qui ne se proposent pas de but plus élevé que la représentation des passions, et cherchent à dissimuler la banalité du fait tantôt derrière un pathos ridiculement enflé, tantôt derrière des pointes épigrammatiques. La célèbre Mlle Rachel, dans le rôle de Marie Stuart[1], quand elle invectiva la reine Elizabeth, me fit songer, si excellent que fût son jeu, à une harengère. La scène finale des adieux perdit aussi, interprétée par elle, tout ce qu’elle a de sublime, c’est-à-dire de vraiment tragique, chose dont les Français n’ont aucune idée. Ce même rôle fut mieux tenu, sans aucune comparaison, par l’italienne Ristori. C’est qu’Italiens et Allemands, en dépit de grandes différences sous beaucoup de rapports, ont le même sentiment pour ce qu’il y a d’intime, de sérieux et de vrai dans l’art, et contrastent sur ce point avec les Français, qui sont absolument dénués de ce sentiment : lacune qu’ils trahissent en tout. La noblesse, c’est-à-dire le « non commun », voire le sublime, est aussi introduite dans le drame, avant tout par la connaissance, en opposition à la volonté. La connaissance plane en effet librement sur tous ces mouvements de la volonté et les prend même pour matière de ses considérations, comme le fait voir particulièrement Shakespeare, surtout dans Hamlet. Et, quand la connaissance s’élève au point où disparaît pour elle l’inutilité de toute volonté et de tout effort, par suite de quoi la volonté s’abolit elle-même, alors seulement le drame devient

  1. Dans la tragédie de Schiller, ou peut-être dans l’imitation qu’en donne Pierre Lebrun. (Le trad.)