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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/189

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la plèbe, les grands-parents et les petits-enfants sont des alliés naturels.

Les hommes ont besoin d’une activité extérieure, parce qu’ils sont dépourvus d’une activité intérieure. Mais quand celle-ci existe, celle-là produit plutôt une perturbation très désagréable, et même souvent exécrée. La première raison explique aussi l’agitation et la passion des voyages sans but des gens désœuvrés. Ce qui les chasse ainsi à travers le monde, c’est le même ennui qui, à la maison, les réunit et les presse en tas, d’une façon vraiment risible à voir.

Cette vérité me fut confirmée un jour d’une façon exquise par un inconnu d’une cinquantaine d’années, qui me parlait de son voyage de plaisir pendant deux ans dans les contrées étrangères les plus lointaines. Comme je remarquais qu’il avait dû subir à cette occasion de grandes fatigues, de grandes privations et de grands dangers, il me fit immédiatement et sans préambule, mais en avançant des enthymèmes, la réponse excessivement naïve que voici : « Je ne me suis pas ennuyé un seul instant » .

Je ne m’étonne pas qu’ils s’ennuient quand ils sont seuls : ils ne peuvent pas rire seuls, et même cela leur paraît fou. Le rire ne serait-il donc qu’un signal pour les autres et un simple signe, comme le mot ? Manque général d’imagination et de vivacité d’esprit (dulness, sottise, αναισθησια και βραδητυς ψυχης (hébétude et lourdeur d’âme), comme dit Théophraste (Caractères, chap. xxvii), voilà ce qui les empêche de rire quand ils sont seuls. Les animaux ne rient ni seuls ni en société.