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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/42

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les bornes du droit ; c’est ce que nous enseigne, en petit, la vie quotidienne, et, en grand, chaque page de l’histoire. La nécessité reconnue de l’équilibre européen, si anxieusement surveillé, ne révèle-t-elle pas par elle seule que l’homme est une bête de proie qui, dès qu’elle voit à sa portée un animal plus faible, l’assaille infailliblement ? Et n’obtenons-nous pas chaque jour en petit la confirmation de ce fait ?

Mais à l’égoïsme illimité de notre nature s’associe encore, en proportions plus ou moins fortes, dans chaque cœur humain, une provision de haine, de colère, d’envie, de fiel et de méchanceté, amassée comme le poison dans la glande de la dent du serpent, et qui n’attend que l’occasion de se donner carrière, pour tempêter et faire rage ensuite comme un démon déchaîné. Si l’opportunité sérieuse fait défaut, elle finira par mettre à profit l’occasion la plus mince, que son imagination grossit :

Quantulacunque adeo est occasio, sufficit iræ[1].
__________(Juvénal, Satire XIII, vers 183).


et elle poussera ensuite les choses aussi loin qu’elle le pourra et l’osera. Nous le constatons dans la vie quotidienne, où l’on désigne ces éruptions sous cette expression : « déverser sa bile sur quelque chose ». On a aussi remarqué que quand ces éruptions ne rencontrent pas de résistance, le sujet s’en trouve ensuite décidément mieux. Aristote a déjà observé que la colère n’est pas sans jouissance : τὀ ὀργίζεσθαι ἡδυ (Rhétorique, livre I, chap. XI ; livre II, chap. ii), et il cite à cet appui

  1. « Si mince que soit l’occasion, elle suffit à la colère ».