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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/45

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excellence ! Ceci est tellement certain, qu’on doit se garder de manifester son déplaisir de petits ennuis ; et même, à l’inverse, sa satisfaction de petites choses. Dans ce dernier cas, les gens feront comme ce geôlier qui, ayant découvert que son prisonnier était parvenu, avec beaucoup de peine, à apprivoiser une araignée et y trouvait un grand plaisir, l’écrasa sur-le-champ : animal méchant par excellence ! Voilà pourquoi tous les animaux craignent instinctivement l’aspect et même la trace de l’homme, — de « l’animal méchant par excellence ». En cela l’instinct ne les trompe pas : l’homme seul, en effet, fait la chasse à la proie qui ne lui est ni utile ni nuisible.

Il y a réellement dans le cœur de chacun de nous une bête sauvage qui n’attend que l’occasion de se déchaîner, désireuse qu’elle est de faire du mal aux autres, et, si ceux-ci lui barrent la route, de les anéantir.

C’est de là que naît tout le plaisir du combat et de la guerre ; et c’est cet instinct que l’intelligence, sa gardienne particulière, a charge constante de dompter et de maintenir en quelque mesure dans les bornes. On peut l’appeler le mal radical, définition dont se contenteront ceux pour qui un mot remplace une explication. Mais je dis : c’est la volonté de vivre qui, toujours de plus en plus aigrie par les douleurs perpétuelles de l’existence, cherche à alléger sa propre peine en infligeant des peines aux autres. De cette façon, la volonté de vivre se développe peu à peu en méchancetés et en cruauté véritables. On peut aussi remarquer ici que, de même que la matière, selon Kant, n’existe que par l’antagonisme de la force expansive et contractive, ainsi la société humaine n’existe que par l’anta-