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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/89

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vaisseaux, à la navigation, en vue de l’importation du sucre, du café, du thé, etc. La production de ces superfluités redevient ensuite la cause du malheur de ces millions d’esclaves noirs, qui sont arrachés par la violence à leur patrie, pour produire par leur sueur et leur martyre ces objets de jouissance. Bref, une grande partie des forces de la race humaine est enlevée à la production de ce qui est nécessaire à l’ensemble, pour procurer au petit nombre ce qui est tout à fait superflu et inutile. Tant que le luxe existera, il y aura donc une somme correspondante d’excès de travail et de vie malheureuse, qu’on la nomme pauvreté ou esclavage, qu’il s’agisse de proletarii ou de servi. La différence fondamentale entre les deux, c’est que l’origine des esclaves est imputable à la violence, celle des pauvres à la ruse. L’état antinaturel tout entier de la société, la lutte générale pour échapper à la misère, la navigation sur mer qui coûte tant de vies humaines, les intérêts commerciaux compliqués et enfin les guerres auxquelles tout cela donne naissance, — ces choses ont pour seule et unique racine le luxe, qui ; loin de rendre heureux ceux qui en jouissent, les rend plutôt malades et de mauvaise humeur. Le moyen le plus efficace d’alléger la misère humaine serait donc de diminuer le luxe, et même de le supprimer.

Il y a incontestablement beaucoup de vérité dans ce courant d’idées. Mais la conclusion en est réfutée par un autre, que fortifie en outre le témoignage de l’expérience. Ce que, par ces travaux consacrés au luxe, la race humaine perd en forces musculaires (irritabilité) pour ses besoins les plus indispensables, lui est peu à peu rendu au centuple par les forces nerveuses (sensi-