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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/98

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rendre justice. En tout cas, la liberté de la presse devrait être soumise à l’interdiction la plus sévère de tout anonymat.

On pourrait admettre, d’une manière générale, que le droit est d’une nature analogue à certaines substances chimiques, qu’on ne peut présenter à l’état pur et isolé, mais tout au plus à l’aide d’un faible mélange avec d’autres substances qui leur servent de support, ou leur donnent la consistance nécessaire ; il en est ainsi du fluor, même de l’alcool, de l’acide prussique, etc. On peut dire que le droit aussi, s’il veut sérieusement s’imposer et même dominer, a nécessairement besoin d’une faible addition d’arbitraire et de force, pour parvenir, nonobstant sa nature purement idéale et par conséquent éthérée, à opérer et à subsister dans ce monde réel et matériel, sans s’évaporer et s’évanouir dans les nuages, comme cela arrive chez Hésiode[1]. Tout droit de naissance, tous privilèges héréditaires, toute religion d’État et maintes choses encore peuvent être regardés comme une base chimique nécessaire, ou un alliage de cette

  1. Schopenhauer fait sans aucun doute allusion aux vers suivants, les seuls d’Hésiode qui puissent s’appliquer à l’idée en jeu :

    η δε τε παρθενος εστι Δικη, Διος εκγεγανια,
    κυοδνη τ'αιδοιη τε θεοις οι Ολυμπον εχουσιν
    και ρ'οποταν τις μιν βλαπτη, σκολιως ονοταζων,
    αυτικα παρ Δυ πατρι καθεζομινη Κρονιωνι
    γηρυετ ανθρωπων αδικον νοον
    ...
    ________Les Travaux et les Jours, vers 254-258.

    (La Justice, cette vierge divine, fille de Jupiter, est auguste et respectée parmi les habitants de l’Olympe. Si quelqu’un lui fait injure et l’insulte, aussitôt elle va s’asseoir près de son père : elle se plaint à lui de la malice des hommes et demande vengeance). (Le trad.)