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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/166

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144. LE MONDE CONSIDÉRÉ COMME VOLONTÉ

— divers par la diversité des circonstances, — à ce qui agit dans tout phénomène et qu’on suppose dans toute cause, à une force originelle de la nature. Mais il faut bien distinguer si cette diversité de phénomènes a sa source dans la diversité des forces, ou simplement dans celle des circonstances dans lesquelles la force se manifeste ; il faut également se garder de prendre pour la manifestation de forces différentes ce qui n’est que la manifestation en des circonstances différentes, d’une seule et même force, de prendre aussi pour la manifestation d’une même force celle de forces différentes. C’est ici le domaine immédiat du jugement, et c’est pourquoi peu d’hommes sont, en physique, capables d’élargir l’horizon ; mais, pour les expériences, chacun peut en accroître le nombre. La paresse et l’ignorance portent à avoir recours trop tôt à des forces primitives ; c’est ce qui apparaît, avec une exagération qui ressemble à de l’ironie, dans les entités et quiddités de la scolastique. Il n’est rien qui soit plus contre mes intentions que de contribuer au retour de ces abus.

Pour suppléer à une explication physique, on ne doit pas davantage avoir recours à l’objectivation de la volonté ou à la puissance créatrice de Dieu. La physique exige des causes, et la volonté n’est pas une cause ; son rapport au phénomène n’a pas pour fondement le principe de raison. Ce qui est en soi volonté apparaît comme représentation, c’est-à-dire comme phénomène. Comme telle, la volonté obéit aux lois qui constituent la forme du phénomène. Ainsi chaque mouvement, bien qu’il reste au fond une manifestation de la volonté, doit avoir une cause par laquelle on l’explique en fonction d’un moment et d’un lieu déterminé, c’est-à-dire non pas d’une manière générale et dans son essence profonde, mais en tant que phénomène isolé. Cette cause est mécanique à l’égard de la pierre. Elle est un motif à l’égard de l’homme et de ses mouvements. Mais jamais elle ne peut manquer. Par contre, le général, la commune essence de tous les phénomènes d’une espèce déterminée, essence sans l’hypothèse de laquelle l’explication par les causes n’a ni sens ni valeur, c’est la force universelle de la nature, qui doit, en physique, rester à l’état de qualitas occulta, car c’est là la fin de l’explication étiologique et le commencement de l’explication métaphysique. Mais la chaîne des causes et des effets n’est jamais brisée par une force originelle à qui l’on aurait recouru. La chaîne ne remonte jamais à elle comme à son premier chaînon. Seulement tout chaînon, le premier comme le dernier, suppose la force primitive et sans elle ne saurait rien expliquer. Une série de causes et d’effets peut être la manifestation des forces les plus différentes dont l’entrée successive dans le monde sensible est réglée par elle : je l’ai montré par l’exemple de la pile métallique ; mais les différences de ces forces