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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/200

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on aurait infailliblement découvert depuis longtemps à quel point leurs deux grandes méthodes s’accordent ensemble ; on aurait vu que la signification réelle et que le but de leurs spéculations est identique. Non seulement on se serait abstenu de comparer Platon à Leibniz (leurs deux esprits ne semblent pas du tout d’accord), ou même à un certain monsieur qui vit encore, comme s’il voulait narguer les mânes du grand penseur antique[1] ; mais surtout on eût fait beaucoup plus de progrès, je veux dire on ne serait point revenu en arrière d’une manière aussi honteuse qu’on l’a fait pendant les quarante dernières années ; on ne se serait point laissé conduire par le nez au gré de tous les hâbleurs ; ce xixe siècle, qui s’annonçait d’une manière si grandiose, n’aurait pas été inauguré en Allemagne par ces pantalonnades philosophiques, renouvelées de certaines fêtes funéraires des anciens et organisées, au milieu d’un légitime éclat de rire de toutes les nations, sur le tombeau de Kant ; de pareilles farces conviennent fort peu au caractère sérieux et même raide des Allemands. Mais il est si mince, le vrai public des vrais philosophes ; les siècles eux-mêmes sont avares de leur apporter des élèves dignes de les comprendre. Εισι δη ναρθηκοφοροι μεν πολλοι, βακχοι δε γε παυροι (Thyrsigeri quidem multi, Bacchi vero pauci). ’Η ατιμια φιλοσοφια δια ταυτα προσπεπτωκεν, οτι ου κατ’αξιαν αυτης απτονται ου γαρ νοθους εδει απτεσθαι, αλλα και γνησιους. (Eam ob rem philosophia in infamiam incidit, quod non pro dignitate ipsam attingunt : neque enim a spuriis, sed a legitimis erat attrectanda) [ Plat. ].

On s’est laissé conduire par les mots : « représentation a priori, formes de l’intuition et de la pensée connues indépendamment de l’expérience, concepts originaux de l’entendement pur, » et ainsi de suite, — et puis l’on s’est demandé si les Idées de Platon, qui, elles aussi, prétendent être des concepts originaux et même des réminiscences d’une intuition des choses réelles antérieure à la vie actuelle, étaient la même chose que les formes kantiennes de l’intuition et de la pensée, telles qu’elles résident a priori dans notre conscience : voilà donc deux théories tout à fait hétérogènes, la théorie kantienne des formes, qui restreint aux purs phénomènes la faculté de connaître de l’individu, et la théorie platonicienne des Idées, Idées dont la connaissance supprime expressément ces formes mêmes : malgré l’opposition diamétrale de ces deux théories, et en raison de la seule analogie des termes qui les expriment, on les a soigneusement comparées ; on a consulté, controversé pour les distinguer l’une de l’autre, et l’on a fini par trouver qu’elles n’étaient pas identiques. Conclusion : la théorie des Idées de Platon

  1. F.-H. Jacobi. (Note de Schopenhauer.