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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/202

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doit se soumettre, dès qu’elle passe dans la connaissance du sujet considéré en tant qu’individu. La chose particulière qui se manifeste sous la loi du principe de raison n’est donc qu’une objectivation indirecte de la chose en soi (qui est la volonté) ; entre cette objectivation médiate et la chose en soi il y a encore l’Idée ; l’Idée est la seule objectité immédiate de la volonté ; car elle ne comporte aucune forme particulière de la connaissance en tant que connaissance, si ce n’est la. forme générale de la représentation, c’est-à-dire celle qui consiste à être un objet pour un sujet. Par suite, l’Idée est aussi et elle est seule l’objectité la plus adéquate possible de la chose en soi ; elle est même toute la chose en soi, avec cette seule réserve qu’elle est soumise à la forme de la représentation : et c’est là que nous découvrons la raison de ce grand accord entre Platon et Kant, bien que, à la grande rigueur, ce dont ils parlent ne soit pas absolument identique. Au contraire les choses particulières ne constituent pas une objectité vraiment adéquate de la volonté ; cette objectité est déjà atténuée ici par les formes qui se résument dans le principe de raison et qui sont les conditions de la connaissance telle qu’elle est possible à l’individu considéré comme individu.

Qu’on nous permette de tirer les conclusions d’une hypothèse impossible : pour qu’effectivement nous ne connaissions plus ni choses particulières, ni circonstances accessoires, ni changement, ni pluralité ; pour qu’au contraire nous percevions seulement les idées et les degrés d’objectivation de cette volonté unique, la véritable chose en soi ; pour qu’en un mot nous possédions une science pure et sans obscurité et que par le fait notre monde puisse être qualifié de « nunc stans », il faudrait que nous n’unissions plus la qualité de sujets connaissants à celle d’individus, c’est-à-dire que notre intuition ne s’opérât plus par l’intermédiaire d’un corps, car c’est le corps qui nous suggère nos intuitions par ses affections ; il n’est lui-même qu’un vouloir concret, l’objectité de la volonté, c’est-à-dire un objet parmi des objets ; or, en qualité d’objet, il ne peut, dans la mesure où il le fait, arriver à la conscience, à moins de se soumettre aux formes du principe de raison : c’est dire qu’il implique déjà et que par le fait il introduit le temps et toutes les autres formes que ce principe résume. Le temps n’est que le point de vue partiel et incomplet auquel l’être individuel contemple les Idées, lesquelles sont en dehors du temps et, par le fait, éternelles : c’est ce qui fait dire à Platon que le temps est l’image mouvante de l’éternité : αιωνος εικων κινητη ο χρονος[1].

  1. À ce paragraphe se rapporte le chapitre XXIX des Suppléments.