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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/53

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science, au sens exact du mot (je veux dire un ensemble de connaissances systématisées à l’aide du principe de raison), n’est propre à fournir une solution définitive, ni une explication entière de la réalité ; la science, en effet, ne saurait pénétrer jusqu’à l’essence intime du monde ; jamais elle ne dépasse la simple représentation, et, au fond, elle ne donne que le rapport entre deux représentations.

Toute science repose sur deux données fondamentales : la première, le principe de raison, sous une quelconque de ses formes, servant de principe régulateur ; la seconde, l’objet même qu’elle étudie et qui se présente toujours à l’état de problème. C’est ainsi que la géométrie a pour problème spécial l’espace, et pour règle la loi d’existence dans l’espace ; que l’arithmétique a pour problème le temps, et pour règle la loi de l’existence temporelle ; le problème de la logique porte sur les rapports des concepts purs, elle a pour règle la loi d’intelligibilité ; le problème de l’histoire, ce sont les actes humains considérés dans leur ensemble : sa règle est la loi de motivation ; la science de la nature, enfin, a pour problème la matière, et pour règle la loi de causalité. Le but dernier de la science est donc de ramener l’un à l’autre, au nom de la causalité, tous les états de la matière qu’elle s’efforce de réduire finalement à un état unique ; ensuite, de les déduire les uns des autres, et même d’un seul, une fois arrivée au terme de ses recherches. La matière apparaît ainsi sous deux formes, qui sont comme les extrémités opposées de la science : la première, où elle représente l’objet le moins immédiat ; la dernière, l’objet le plus immédiat du sujet pensant ; en d’autres termes, la matière à l’état le plus inerte et le plus informe, c’est la substance primitive, d’une part, et, de l’autre, l’organisation humaine. La science de la nature, sous le nom de chimie, traite de la première ; sous le nom de physiologie, elle étudie la seconde. Mais jusqu’à ce jour ni l’un ni l’autre de ces extrêmes n’a pu être atteint ; c’est seulement entre les deux limites opposées qu’on est arrivé à quelque certitude. Et les perspectives que peut ouvrir l’avenir de la science sont assez peu encourageantes. Les chimistes supposent que la division qualitative de la matière ne saurait aller à l’infini, comme sa division quantitative ; dans cet espoir, ils cherchent à restreindre de plus en plus le nombre des corps simples, dont ils comptent encore une soixantaine ; en admettant qu’ils les eussent ramenés à deux, ils voudraient finalement les réduire à un seul. La loi d’homogénéité conduit, en effet, à l’hypothèse d’un état chimique primordial de la matière, qui seul lui appartiendrait en propre, ayant précédé tous les autres : ceux-ci ne lui seraient pas essentiels au même titre, et on n’y devrait voir que des formes ou propriétés qu’elle peut revêtir accidentellement. Mais maintenant comment concevoir que ce premier état ait jamais pu se modifier chimiquement, puisqu’il n’en