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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/91

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sions fondées sur des déterminations de plus en plus restreintes. D’après Kant, elle satisfait ainsi également à la loi d’homogénéité et de spécification. Mais, par cela même que la perfection scientifique proprement dite résulte de là, il est clair que le but de la science n’est pas une plus grande certitude ; car la plus mince des connaissances particulières est aussi certaine. Son vrai but est de faciliter le savoir, en lui imposant une forme, et par là la possibilité pour le savoir d’être complet. De là l’opinion courante, mais erronée, que le caractère scientifique de la connaissance consiste dans une plus grande certitude ; de là aussi l’opinion, non moins fausse, qui en résulte, que les mathématiques seules et la logique sont des sciences proprement dites, parce que c’est en elles que réside la certitude inébranlable de toute connaissance, par suite de leur complète apriorité. Sans doute on ne peut leur refuser ce dernier privilège ; mais ce n’est pas en cela que consiste le caractère scientifique, lequel n’est pas la certitude, mais une forme systématique de la connaissance, qui est une marche graduelle du général au particulier. Cette marche de la connaissance, qui est propre aux sciences, et qui va du général au particulier, entraîne cette conséquence que la plupart de leurs propositions sont dérivées de principes précédemment admis, c’est-à-dire sont fondées sur des preuves. C’est de là qu’est sortie cette vieille erreur, qu’il n’y a de parfaitement vrai que ce qui est prouvé, et que toute vérité repose sur une preuve, quand, au contraire, toute preuve s’appuie sur une vérité indémontrée, qui est le fondement même de la preuve, ou des preuves de la preuve. Il y a donc le même rapport entre une vérité indémontrée et une autre qui s’appuie sur une preuve, qu’entre de l’eau de source et de l’eau amenée par un aqueduc. L’intuition, —— soit pure et a priori, comme en mathématiques, — soit a posteriori, comme dans les autres sciences, est la source de toute vérité et le fondement de toute science. Il faut en excepter seulement la logique, qui est fondée sur la connaissance non intuitive, quoique immédiate, qu’acquiert la raison de ses propres lois. Ce ne sont pas les jugements fondés sur des preuves, ni leurs preuves, mais les jugements sortis directement de l’intuition et, pour toute preuve, fondés sur elle, qui sont à la science ce que le soleil est au monde. C’est d’eux que découle toute lumière, et tout ce qu’ils ont éclairé est capable d’éclairer à son tour. Asseoir immédiatement sur l’intuition la vérité de ces jugements, tirer les assises mêmes de la science de la variété infinie des choses, voilà l’œuvre du jugement proprement dit (la faculté de jugement : Urtheilskraft) qui consiste dans le pouvoir de transporter dans la conscience abstraite ce qui a été une fois exactement connu, et qui est par conséquent l’intermédiaire entre l’entendement et la raison pure. C’est