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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/180

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sur la connaissance a priori

dès 1813, j’ai montré, dans mon Traité sur le principe de raison, la différence des rapports, qui sont pensés sous ces concepts. C’est dans les idées générales que la philosophie dépose ses connaissances, mais ce n’est pas d’elles qu’elle les tire, c’est le terminus ad quem, et non pas a quo. En un mot, la philosophie n’est pas, comme Kant la définit, une science de concepts (aus Begriffen), mais une science en concepts (in Begriffen). Le concept de causalité, dont il est ici question, a lui aussi toujours été pris dans un sens trop large par les philosophes, au grand avantage de leur dogmatisme, si bien qu’on a fini par y faire entrer ce qui n’y est pas du tout. De là sont sorties des propositions comme celles-ci : « Tout ce qui existe a sa cause ; » — « L’effet ne peut contenir plus que la cause, c’est-à-dire rien qui ne soit déjà dans celle-ci ; » — « causa est nobilior suo effectu, » et beaucoup d’autres aussi fausses. Proclus, cet insipide bavard, nous en donne un riche et magnifique exemple dans la ratiocination suivante (Institutio theologica, 76) Παν το απο ακινητου γιγνομενον αιτιας, αμεταϐλητον εχει την υπαρξιν. Παν το απο κινουμενης, μεταϐλητην. Ει γαρ ακινητον εστι παντη το ποιουν, ου δια κινησεως, αλλ’αυτω τω ειναι παραγει το δευτερον αφ’εαυτου. (Quidquid ab immobili causa manat, immutabilem habet essentiam [substantiam]. Quidquid vero a mobili causa manat, essentiam habet mutabilem. Si enim illud, quod aliquid facit, est prorsus immobile, non per motum, sed per ipsum esse producit ipsum secundum ex se ipso.) — Très bien ! mais montrez-nous une cause immobile : vous ne le pourrez pas. Ici, comme dans tant de cas, l’abstraction a écarté toutes les déterminations, sauf une qu’elle veut conserver sans prendre garde que celle-ci ne peut exister en l’absence des autres. — La seule expression exacte pour la loi de causalité est la suivante : Tout changement a sa cause dans un autre, qui le précède immédiatement. Si quelque chose arrive, c’est-à-dire si un nouveau phénomène se produit, c’est-à-dire si quelque chose change, un changement analogue doit s’être produit auparavant ; un autre a dû précéder ce dernier, et ainsi de suite à l’infini car une cause première est aussi impossible à penser qu’un commencement dans le temps ou une limite dans l’espace. La loi de causalité n’affirme rien de plus que ce que nous avons dit, c’est-à-dire qu’elle ne prétend pas dépasser les simples modifications. Tant qu’un changement ne s’est pas produit, il n’y a pas à demander une cause ; car on n’est pas fondé a priori à conclure de l’existence des choses données, c’est-à-dire des phénomènes de la matière, de leur non-existence antérieure, et de cette non-existence à leur production, c’est-à-dire à une modification. Aussi l’existence d’une chose n’autorise-t-elle nullement à conclure qu’elle ait une cause. Mais il peut y avoir un fondement a posteriori, c’est-à-dire tiré de