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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/61

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le monde comme volonté et comme représentation

dance impliquant que la chose nécessaire est amenée par une autre dont elle est la conséquence infaillible, le concept de nécessité ne contient absolument rien. Le concept naît et subsiste purement et simplement par l’application du principe de raison. Par suite il y a, conformément aux différents aspects de ce principe une nécessité physique (celle qui lie l’effet à la cause), une nécessité logique (qui résulte du principe de raison imposé à la connaissance, et qui se manifeste dans les jugements analytiques, dans les raisonnements etc., (une nécessité mathématique) dérivée de la raison d’être par rapport à l’espace et au temps), et enfin une nécessité pratique ; par cette dernière je n’entends point le fait d’être déterminé par un prétendu impératif catégorique ; je désigne simplement l’action qui survient nécessairement, tel caractère empirique étant donné, sous l’impulsion des motifs ordinaires. Toute nécessité est simplement relative, car elle est subordonnée au principe de raison dont elle émane : par suite une nécessité absolue est une contradiction. — Pour le reste, je renvoie à ma Dissertation sur le principe de raison[1].

Le terme contradictoirement opposé à la nécessité, c’est-à-dire la négation de la nécessité, est la contingence. Le contenu de ce concept est négatif ; en effet, il se borne à ceci : « Absence de toute liaison exprimée par le principe de raison. » Aussi le contingent n’est-il jamais que relatif ; il est contingent par rapport à quelque chose qui n’est point sa raison. Toute chose, de quelque espèce qu’elle soit, par exemple toute conjoncture prise dans le monde réel, est toujours à la fois nécessaire et contingente : nécessaire par rapport à la chose unique qui est sa raison d’être ; contingente par rapport à tout le reste. Tout objet en effet se trouve, dans l’espace et dans le temps, en contact avec ce qui n’est point sa cause ; mais c’est là une simple rencontre, ce n’est pas une liaison nécessaire ; de là les mots συμπτῶμα, contingens, contingence, Zufall. La contingence absolue est aussi inconcevable que la nécessité absolue. Que serait en effet un objet absolument contingent ? Il ne serait avec aucun autre objet en relation de conséquence à principe. L’inconcevabilité d’une contingence absolue correspond justement au contenu du principe de raison négativement exprimé ; et il faudrait violer ce principe pour penser un objet absolument contingent ; dès lors la contingence elle-même n’aurait plus aucun sens, puisque le concept du contingent ne signifie quelque chose que par rapport au principe de raison. Qui dit en effet contingent, dit deux objets qui ne sont point entre eux dans un rapport de cause à effet.

  1. § 49.