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Page:Scott - Nain noir. Les puritains d'Ecosse, trad. Defauconpret, Garnier, 1933.djvu/31

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LE NAIN NOIR

limier satisfera sa soif de sang, et je dirai avec un sourire : Voilà pourquoi je lui ai sauvé la vie ! Oui, tel est l’objet de mes soins apparents : c’est d’augmenter la masse des misères humaines ; c’est, du fond même de ce désert, de jouer mon rôle dans la tragédie générale. Quant à vous, si vous étiez malade, la pitié m’engagerait peut-être à vous envoyer une coupe de poison.

— Je vous suis fort obligé, Elshie ; et avec une si douce espérance, je ne manquerai certainement pas de vous consulter quand j’aurai besoin de secours.

— Ne vous flattez pas trop ! il n’est pas bien certain que je fusse assez faible pour céder à une sotte compassion. Pourquoi m’empresserais-je d’arracher aux misères de la vie un homme si bien constitué pour les supporter ?

— Vous faites un effrayant tableau de la vie, Elshie, mais il ne saurait abattre mon courage. Nous devons supporter les peines avec résignation, et jouir du bonheur avec reconnaissance.

— Doctrine de brutes et d’esclaves ! dit le Nain : je la méprise. Mais je ne perdrai pas plus de paroles avec vous. — À ces mots il se leva et ouvrit la porte de sa chaumière. Toutefois, avant d’y entrer, il se retourna vers Earnscliff, et ajouta avec véhémence : — De peur que vous ne croyiez que les services que je parais rendre aux hommes prennent leur source dans ce sentiment bas et servile qu’on appelle l’amour de l’humanité, apprenez que, s’il en existait un qui eût détruit mes plus chères espérances, et si la vie et la fortune de cet homme étaient aussi complètement en mon pouvoir que ce vase fragile (prenant en main un pot de terre qui se trouvait près de lui), je ne le réduirais pas ainsi en atomes de poussière (et il le lança avec fureur contre la muraille). Non, continua-t-il, je l’entourerais de richesses, je l’armerais de puissance, je ne le laisserais manquer d’aucun moyen d’accomplir ses infâmes desseins ; j’en ferais le centre d’un effroyable tourbillon qui engloutirait tout ce qui se trouverait sur son passage.

Se précipitant alors dans sa hutte, il en ferma la porte.

Earnscliff s’éloigna avec un sentiment de compassion et d’horreur.