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Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/33

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RATON.

C’est très bien… mais encore, si vous me disiez ce qu’il faut.

MARTHE, l’entraînant.

Il faut me suivre… mon fils nous attend… viens… viens vite. (À la reine.) Soyez tranquille, madame, je vous réponds de lui et de la révolte !

(Elle sort en entraînant son mari par la petite porte à gauche. Au même instant et par la porte du fond paraît l’huissier.)

LA REINE.

Qu’y a-t-il ? que me voulez-vous ?

L’HUISSIER.

Deux ministres qui, au nom du conseil, sont chargés, disent-ils, d’une communication importante pour votre majesté !

LA REINE, à part.

Ô ciel ! qu’est-ce que cela signifie ? (Haut.) Qu’ils entrent, je suis prête à les recevoir.

(Elle s’assied.)

Scène III.

LE COMTE DE RANTZAU, FALKENSKIELD ; LA REINE, assise à droite près du guéridon.
FALKENSKIELD.

Madame, depuis hier la tranquillité de la ville a été à plusieurs reprises sérieusement troublée ; des rassemblements, des cris séditieux ont éclaté sur plusieurs points, et enfin hier soir on a tenté d’exécuter dans mon hôtel un complot dont on ignore encore les chefs ; mais il nous est facile de les soupçonner.

LA REINE.

Je pense, en effet, monsieur le comte, qu’il vous est plus facile d’avoir des soupçons que des preuves.

RANTZAU, avec intention et regardant la reine.

Il est vrai qu’Éric Burkenstaff persiste à garder le silence… mais…

FALKENSKIELD.

Obstination ou générosité qui lui coûtera la vie. Mais, en attendant, par une mesure que la prudence commande, et pour prévenir dans leur origine des complots dont les auteurs ne resteront pas long-temps impunis, nous venons, au nom de la reine Mathilde et de Struensée, vous intimer l’ordre de ne point sortir de ce palais.

LA REINE, se lève.

Un pareil ordre… à moi !… et de quel droit ?

FALKENSKIELD.

D’un droit que nous n’avions pas hier et que nous prenons aujourd’hui. Un complot découvert rend un gouvernement plus fort. Struensée, qui hésitait encore, s’est enfin décidé à adopter les mesures énergiques que depuis long-temps je proposais : il ne suffit pas de frapper, mais de frapper promptement. Ainsi ce n’est plus devant les cours de justice ordinaire que doivent se traduire les crimes d’état ; c’est devant le conseil de régence, seul tribunal compétent ; c’est là que dans ce moment se décide le sort d’Éric Burkenstaff, en attendant que nous fassions comparaître devant nous des coupables d’un rang plus élevé.

LA REINE.

Monsieur le comte !…


Scène IV.

RANTZAU, à gauche, à l’écart ; GŒLHER, FALKENSKIELD, LA REINE.

(Goelher entre par le fond, tenant plusieurs papiers à la main. Il aperçoit la reine, qu’il salue avec respect ; puis s’adresse à Falkenskield, sans voir Rantzau qui est derrière lui.)

GŒLHER, à Falkenskield

Voici l’arrêt du conseil, qu’en ma qualité de secrétaire-général je viens d’expédier, et auquel il ne manque plus que deux signatures.

FALKENSKIELD.

C’est bien.

GŒLHER, étourdiment et montrant plusieurs papiers qu’il tient encore.

J’ai là en même temps, et comme vous m’en aviez chargé, le projet d’ordonnance où nous proposons à la reine d’admettre à la retraite.

FALKENSKIELD, à voix basse et lui montrant Rantzau.

Taisez-vous donc !

GŒLHER, à part.

C’est juste ; je ne le voyais pas. (Regardant Rantzau dont la physionomie est restée immobile.) Il n’a pas entendu ; il ne se doute de rien.

FALKENSKIELD, parcourant les papiers que lui a remis Gœlher.

L’arrêt d’Éric Burkenstaff ! (Lisant.) Il est condamné !

LA REINE, vivement.

Condamné !

FALKENSKIELD.

Oui, madame, et le même sort attend désormais quiconque serait tenté de l’imiter.

GŒLHER.

J’ai rencontré aussi une députation de magistrats et de conseillers du tribunal suprême. Sur le bruit seul qu’en violation de leurs droits et privilèges le conseil de régence s’attribuait l’affaire d’Éric Burkenstaff, ils venaient porter leurs plaintes au roi, et, pour parvenir jusqu’à lui, voulaient s’adresser à madame.

FALKENSKIELD.

Vous le voyez ; c’est auprès de vous, madame, que viennent se rallier tous les mécontents.

LA REINE.

Et, grâce à vous, ma cour augmente chaque jour.

FALKENSKIELD, à la reine.

Je ne veux pas alors refuser a votre majesté la vue de ses fidèles serviteurs. (à Gœlher.) Ordonnez qu’ils entrent ; nous les recevrons en votre présence.