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Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/38

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RATON.

Voyons un peu… d’abord ce petit mot. (Lisant à part.) « Mon cher Raton, je vous confie, comme chef du peuple, cet ordre du roi. » Du roi ! est-il possible ! « Vous le remettrez vous-même à son adresse. » Je n’y manquerai pas. « Après quoi, et sans entrer dans aucun détail ni éclaircissement, vous vous retirerez, vous sortirez du palais, vous vous tiendrez soigneusement caché. » Tout cela sera scrupuleusement exécuté. « Et demain au point du jour, si vous voyez le pavillon royal flotter sur les tours de Christianborg, parcourez la ville avec tous les amis dont vous pourrez disposer, en criant : Vive le roi ! » C’est dit. « Déchirez sur-le-champ ce billet. » (Le déchirant.) C’est fait.

MARTHE et JEAN.

Eh bien ! qu’y a-t-il ?

RATON[1].

Taisez-vous, femme ! taisez-vous ! les secrets d’état ne vous regardent pas ; qu’il vous suffise d’apprendre que je sais ce que j’ai à faire. Voyons un peu… (Prenant le papier cacheté.) « À Raton de Burkenstaff, pour remettre au général Koller. »

MARTHE.

Koller !

RATON, cherchant.

Qu’est-ce que c’est que ça ? (Se rappelant.) Ah ! je sais… un des nôtres dont la reine nous parlait ce matin… tu ne te rappelles pas ?

MARTHE.

Si vraiment !

RATON.

Il l’aura bientôt, c’est convenu. Quant à nous, mes enfants, ce qui nous reste à exécuter, c’est de sortir d’ici sans bruit, de nous tenir cachés toute la soirée.

MARTHE.

Y penses-tu ?

RATON.

Silence donc ! c’est dans notre plan. (À Jean.) Toi, pendant la nuit, tu rassembleras les matelots norwégiens dont tu nous parlais tout-à-l’heure ; tu leur donneras de l’or, beaucoup d’or ; on me le rendra… en honneurs et en dignités… et puis vous viendrez tous me trouver avant le point du jour, et alors…

MARTHE.

Cela sauvera-t-il mon fils ?

RATON.

Belle demande !… Oui, femme, oui, cela le sauvera… et je serai conseiller, et j’aurai une belle place, et Jean aussi… une petite.

JEAN.

Laquelle ?

RATON.

Je te promets quelque chose. Mais nous perdons là un temps précieux, et j’ai tant d’affaires en tête ! Quand il faut penser à tout, par où commencer ? Ah ! cette lettre à M. Koller, c’est par-là d’abord qu’il faut. Venez, suivez-moi.

(Jean et Marthe vont pour sortir par la porte à gauche ; Koller parait à la porte du fond ; Raton s’arrête au milieu du théâtre.)


Scène XI.

JEAN, MARTHE, RATON, KOLLER.
KOLLER, apercevant Raton.

Que vois-je ! Que faites-vous ici ? qui êtes-vous ?

RATON.

Que vous importe ? je suis chez la reine, j’y suis par son ordre. Et vous-même, qui êtes-vous pour m’interroger ?

KOLLER.

Le colonel Koller.

RATON.

Koller ! quelle rencontre ! Et moi, je suis Raton de Burkenstaff, chef du peuple.

KOLLER.

Et vous osez venir en ce palais, quand l’ordre est donné de vous arrêter ?

MARTHE.

Ô ciel !

RATON.

Sois donc paisible ! (À Koller à demi-voix.) Je sais qu’avec vous je n’ai rien à craindre ; car nous sommes du même bord, nous nous entendons… vous êtes des nôtres.

KOLLER, avec mépris.

Moi !

RATON, à demi-voix.

Et la preuve, c’est que voilà un papier que je suis chargé de vous remettre, et de la part du roi.

KOLLER, vivement.

Du roi !… est-il possible !… Qu’est-ce que cela signifie ? (Il ouvre la lettre, qu’il parcourt.) Ô ciel ! un pareil ordre !…

RATON, le regardant et s’adressant à sa femme et à Jean.

Vous voyez déjà l’effet.

KOLLER.

Christian !… c’est bien sa main, c’est sa signature… Et vous m’expliquerez, monsieur, comment il se fait.

RATON, gravement.

Je n’entrerai dans aucun détail ni éclaircissement : c’est l’ordre du roi ; vous savez ce qui vous reste à faire… et moi aussi… je m’en vais.

MARTHE, le retenant.

Eh ! mon Dieu ! qu’y a-t-il donc dans ce papier ?

RATON.

Ça ne te regarde pas, et tu ne peux le sa-

  1. Retraversant le théâtre à droite et reprenant le milieu. Jean, Raton, Marthe.