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Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/46

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RANTZAU, à Falkenskield, Gœlher et Christine.

Eh ! mon Dieu, oui… ami de tout le monde ! demandez plutôt au général Koller et à son digne allié, messire Raton Burkenstaff.

TOUS, criant.

Vive Raton Burkenstaff !

(Rantzau remonte le théâtre, et Éric le traverse pour se placer près de Jean.)


Scène X.

JEAN et SES COMPAGNONS, ÉRIC ; MARTHE, entrant la première et s’élançant vers son fils, qu’elle embrasse ; RATON, entouré de tout le peuple ; RANTZAU, CHRISTINE, FALKENSKIELD, GŒHLER ; derrière eux, KOLLER ; et au fond, PEUPLE, SOLDATS, MAGISTRATS, GENS DE LA COUR.
MARTHE, embrassant Éric.

Mon fils !… blessé ! il est blessé !

ÉRIC.

Non, ma mère, ce n’est rien. (Elle l’embrasse à plusieurs reprises, tandis que le peuple crie : ) Vive Raton Burkenstaff !

RATON.

Oui, mes amis, oui, nous avons enfin réussi ; grâce à moi, je m’en vante, qui, pour le service du roi, ai tout mené, tout dirigé, tout combiné.

TOUS.

Vive Raton !

RATON, à sa femme.

Tu l’entends, ma femme, la faveur m’est revenue.

MARTHE.

Eh ! que m’importe, à moi ?… je ne demande plus rien ; j’ai mon fils.

RATON.

Mais, silence, messieurs ! silence !… J’ai là les ordres du roi, des ordres que je viens de recevoir à l’instant ; car c’est en moi que notre auguste souverain a une confiance illimitée et absolue.

JEAN, à ses compagnons.

Et le roi a raison. (Montrant son maître qui tire de sa poche l’ordonnance du roi.) Une fameuse tête, sans que cela paraisse ! Il savait bien ce qu’il faisait en jetant l’or à pleines mains. (Avec joie.) Car de vingt mille florins, il ne lui reste rien, pas une rixdale.

RATON, tout en décachetant le papier, lui faisant signe de se taire.

Jean !…

JEAN.

Oui, notre maître. (À ses compagnons.) En revanche, si ça avait mal tourné, nous y passions tous, lui, son fils, sa famille et ses garçons de boutique.

RATON.

Jean, taisez-vous !

JEAN.

Oui, notre maître. (Criant.) Vive Burkenstaff !

RATON, avec satisfaction.

C’est bien, mes amis ; mais du silence, (Lisant.) « Nous, Christian VII, roi de Danemarck, à nos fidèles sujets et habitants de Copenhague. Après avoir puni la trahison, il nous reste à récompenser la fidélité dans la personne du comte Bertrand de Rantzau, que, sous la régence de notre mère, la reine Marie-Julie, nous nommons notre premier ministre… »

RANTZAU, d’un air modeste.

Moi ! qui ai demandé ma retraite et qui veux me retirer des affaires.

RATON, sévèrement.

Vous ne le pouvez pas, monsieur le comte ; le roi l’ordonne, il faut obéir. Laissez-moi achever, de grâce ! (Continuant à lire.) « Dans la personne du comte Bertrand de Rantzau, que nous nommons premier ministre, (avec emphase.) et dans celle de Raton de Burkenstaff, négociant de Copenhague, que nous nommons dans notre maison royale, (Baissant la voix.) premier marchand de soieries de la couronne. »

TOUS.

Vive le roi !

JEAN.

C’est superbe ! nous aurons les armes royales sur notre boutique.

RATON, faisant la grimace.

La belle avance !… et au prix que ça me coûte !…

JEAN.

Et moi, la petite place que vous m’aviez promise…?

RATON.

Laisse-moi tranquille !

JEAN, à ses compagnons.

Quelle ingratitude !… moi qui suis cause de tout… aussi il me le paiera !

RANTZAU[1].

Puisque le roi l’exige, il faut bien s’y soumettre, messieurs, et se charger d’un fardeau qu’allégera, je l’espère, (aux magistrats.) l’affection de mes concitoyens. (À Éric.) Pour vous, mon jeune officier, qui dans cette occasion avez couru les plus grands risques… on vous doit quelque récompense.

ÉRIC, avec franchise.

Aucune ; car, je puis le dire maintenant à vous, à vous seul. (À demi-voix.) Je n’ai jamais conspiré !

RANTZAU, lui imposant silence.

C’est bien ! c’est bien ! voilà de ces choses qu’on ne dit jamais après[2].

  1. Pendant ce temps Éric a remonté le théâtre et s’est rapproché de Rantzau. — Jean, Marthe, Raton, Éric, Rantzau, Christine, Falkenskield, Gœlher, Koller derrière eux.
  2. Marthe, pendant ce temps, a remonté le théâtre et se trouve entre son mari et son fils. — Les acteurs sont dans l’ordre suivant : Jean, Raton, Marthe, Eric, Rantiau, Koller, Christine, Falkenskield, Gœlher.