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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/100

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L’ennui ne naît pas de l’uniformité ; car la vie des hommes simples est très-uniforme, et les hommes simples ne connoissent pas l’ennui. Il ne vient pas de la privation des plaisirs ; car ceux qui vivent loin des plaisirs, sont par leur manière même de vivre, à l’abri de ses atteintes. Il ne vient pas de la continuité des

    pation continuelle, qui soit nécessaire, obligatoire. Quand ses besoins, ou une profession une fois adoptée, le lui imposent, ses vastes désirs s’épuisent sur un objet déterminé, sa pensée se porte au-dehors, il n’est pas fatigué du vague de sa volonté et de la durée des heures ; alors, seulement alors, il peut tolérer ou même aimer son existence.

    Si le travail ne nous est pas imposé par les circonstances, il importe que nous nous en fassions une loi à nous-mêmes, et que nous ne nous permettions jamais de l’enfreindre : autrement la première exemption en entraînera beaucoup d’autres. Sans même les prétextes de la paresse, il est bien des convenances accidentelles qui nous donneront de justes motifs de changer ou d’interrompre notre plan. Nous perdrons de vue l’utilité de son ensemble ; nous ne verrons que l’utilité du changement présent ; et sous prétexte de consacrer chaque moment à ce qu’il demande de nous, de ne dépendre que de la raison, et de nous procurer cette séduisante liberté de la vie, nous tomberons d’une manière rapide et inapperçue dans une sorte de désordre et d’abandon, dans l’irrésolution, l’oisiveté involontaire et le dégoût de toute occu-