Aller au contenu

Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 128 )

ressorts généreux de vie et de conservation, une agitation convulsive et vainement laborieuse sous le poids d’une compression mortelle ?

Avant même que des passions immodérées nous dévorent de leur feu indomptable, nous éprouvons déjà tout leur déchirement ; et notre cœur, avide parce qu’il est fatigué, s’altère et s’épuise sans objet dans l’attente ou le désir de ce qui doit le consumer enfin.

C’est bien déjà une passion, et la plus irrémédiable peut-être, que cette soif vague et intarissable d’en sentir une plus déterminée. Quand une ame forte a connu deux années ce vaste besoin, l’occasion seule lui manque pour entraîner le monde. Si d’impuissantes destinées la compriment, ne pouvant soumettre de grandes choses à son action, elle soumet l’univers à sa pensée ; et dans ses conceptions générales y toujours loin de sa sphère individuelle, elle choisit indifféremment dans les lieux et les siècles ce qui convient à sa nature. Un instant interrompt tout le sublime délire de ce génie mortel ; il s’arrête étonné de n’occuper qu’un point et qu’un moment dans cet univers qu’il contenoit tout entier, il sent que tout est vain dans une existence si vaine y et ne s’occupe des soins de la vie que