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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/141

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es sur ce globe misérable, tu ne peux te trouver parmi des êtres plus heureusement animés, et par cela seul que tu perçois aujourd’hui ce monde dont tu desires les mutations, vingt siècles avant que son changement commence tu seras insensible et éteint. Cent générations auront passé de même, foibles, trompées, et accusant amèrement l’injustice de leurs destinées, comme s’il étoit une justice de la nature. Ne sois pas avide d’une extension refusée à ta foiblesse éphémère ; mais aussi gardes-toi de comprimer ton être : nourris en toi ces vastes conceptions pour les opposer au prestige des puérilités sociales. Laisse au vulgaire asservi ces besoins d’opinion, ces soins passionnés, ces grandeurs d’un jour, cette futilité laborieuse qui dévore toute entière son ame étroite, et dissipe ses jours inutiles. Compte les heureux d’entre eux et prends en pitié leurs fastueuses vanités. Si tu as le bonheur de sortir de la sphère ridicule qu’ils ont ordonnée, crois avoir une seconde fois acquis l’existence. Vis pour vivre, quitte la foiblesse des prudens et la modération de la foule ; que t’importe le blâme des insensés et le rire ironique des guides qu’ils vénèrent ? de leur risible étonnement dédaigne la calomnie, et place toi si loin de leur