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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/259

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La liberté politique ne consiste point à ne reconnoître aucune loi, mais à n’obéir qu’à celles-là seulement que l’on veut ou que du moins l’on avoue ; de même la liberté de la vie ne consiste point à être à chaque moment maître de ses actions, et à ne suivre en toutes choses que sa volonté actuelle[1], mais à n’obéir qu’à la règle de conduite que l’on s’est prescrit par une volonté motivée[2]. D’où l’on

  1. Cette indépendance produit trop de délibération et d’incertitude. Dès que l’on s’arrête habituellement à peser les avantages de chaque chose, il arrive souvent que l’on ne sait plus à laquelle se déterminer, et plus souvent encore que l’on n’en trouve aucune qui mérite que l’on cherche à l’obtenir ; car il en est bien peu parmi nous qui puissent valoir ce qu’elles coûtent. Cette froide estimation de la valeur réelle des choses, cette triste balance rebute notre aine suspendue dans l’indolence et le dégoût ; et l’illusion à jamais détruite nous livre à l’indifférence pour toutes choses.
  2. Quand on décide l’avenir, on voit assez bien ce qui sera le plus convenable, et nul ne peut plus légitimement que soi-même prescrire quel ordre de choses on veut embrasser ; mais quand on délibère sur le présent, l’impartialité devient d’une difficulté extrême, et il arrive presque toujours que l’on se laisse séduire par le goût actuel, ou l’intérêt du moment présent, qui rarement est le goût que l’on conservera, et l’intérêt de l’ensemble de la vie.