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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/305

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ceptions, développent l’ensemble des rapports jusqu’alors méconnus, embrasent notre imagination, et quelquefois déterminent notre vie.

Le langage des hommes simples est tout image et sentiment, le nôtre plus savant devient froid et muet. Le style figuré, dont l’imagination orientale abuse peut-être, est plus naturel à l’homme qu’une langue métaphysique. Ces termes abstraits, cette subtilité européenne, produisent une sorte de sécheresse et d’indifférence, dont nos mœurs se ressentent beaucoup. On ne la doit pas au climat seul, car on trouve entre les chants des Calédoniens et ceux des derniers poètes de Rome, à peu près la différence que l’on imagine entre la musique grossière et puissante des Musée, des Therpandre, des Orphée, et les compositions savantes de nos modernes.

Ainsi je ne laisserai point à mon île les noms qu’elle porte. L’un exprime une chose trop générique, et l’autre n’exprime rien ; mais je l’appellerai d’un nom qui désigne le genre de bonheur qu’on y doit goûter et le caractère de ses futurs habitans différant par tant de choses du commun des hommes. Je croirai avoir beaucoup fait si ce mot seul peut peindre