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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/314

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Hommes forts, hâtez-vous ; le sort vous a servi en vous faisant vivre, tandis qu’il en est tems encore dans plusieurs contrées. Hâtez-vous, les tems se préparent rapidement où cette nature robuste n’existera plus, où tout sol sera façonné, où tout homme sera énervé par l’industrie humaine ; où le Patagon connoîtra les arts des Italiens, et le Tartare aura les mœurs des Chinois ; où les rives de l’Irtis porteront les palais du Tibre et de la Seine, et les pâturages du Mechassipi deviendront arides comme les sables de Barca.

Le feu par-tout produit et multiplié par l’homme, en séchant les corps humides, en subdivisant et atténuant tous les composés, en consumant les germes invisibles, doit enfin altérer l’organisation végétale, affoiblir les espèces animées, pécher et stériliser la terre. Peut-être, à la vérité, d’autres causes naturelles lui préparent-elles plus puissamment encore l’époque où son harmonie interrompue doit laisser éteindre ses facultés productives, où toute végétation, toute fermentation, toute animalité doit cesser ; où, désséchée peut-être, peut-être refroidie ou minéralisée, elle doit rester un globe immuable et mort, jusqu’à ce que des siècles sans nombre achevant sa