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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/33

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ches des grès épars, deux troupeaux de brebis fort distans l’un de l’autre : leurs têtes étoient baissées, et leurs yeux fixés dans les touffes rougeâtres de la bruyère où elles cherchoient, avec plus de constance que de succès, quelques brins arides d’une herbe jaunie. C’étoient les seules êtres animés qui respirassent dans ces landes y et leur immobilité sembloit craindre d’en troubler la paix silencieuse. Le soleil, sans nuage, éclairoit d’une manière fixe la contrée vaste et déserte. Seulement, de tems à autre, l’on entendoit dans les bruyères le bêlement de la brebis plaintive. Ce grand calme ajoutoit à cette étendue solitaire, son ciel sembloit plus profond, plus illimité, sa terre plus abandonnée.

Plusieurs de ces collines lointaines, à divers points de l’horizon, ramenoient des souvenirs douloureux et des regrets inénarrables. J’étois agité dans ce calme général, et je l’étois seul ; nul homme ne s’y étoit retiré pour y penser librement, pour y souffrir ignoré.

Avide de pensers sublimes et d’émotions extrêmes, mon idée, perdue dans le vague de l’essence primitive des êtres, sondoit, dans sa démence, d’inexplicables et douloureuses profondeurs. Qu’en cet instant suprême les vicis-