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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/87

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une perfection ? sur-tout est-elle un moyen de bonheur ?

Si cet homme sensible possède une ame forte, un cœur détrompé, que de combats en lui ! s’il possède une raison supérieure, qui pourra le soustraire à l’ennui de la vie ?

Quand la passion de la vérité a conduit au doute universel, quand le doute a dévoilé les biens et stérilisé les désirs, le silence du cœur devroit du moins régner sur ces ruines éteintes : mais des cœurs mortels, nul n’est plus déchiré que celui qui conçoit un monde heureux, et n’éprouve qu’un monde déplorable, qui toujours incité ne peut rien chercher, et toujours consumé ne peut rien aimer ; qui, refroidi par le néant des choses humaines, est arraché par une sensibilité invincible au calme de sa propre mort. Il s’attache à la nature inanimée pour devenir indifférent comme elle, pour reposer dans sa paix impassible : il la vouloit muette, mais il l’entend encore ; il la sent, il l’interprète toute entière, et demande à chacun de ses accens une expression indicible pour des douleurs inénarrables. Il voit la terre agitée dans la vague qui se brise contre le roc, et la destinée humaine dans celle qui vient mourir sur la grève.