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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/105

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SUR SHAKSPEARE.

romans de sir Walter Scott en sont la preuve ; Mais ce qu’elle devra à Shakspeare dans la direction nouvelle qui se manifeste sur son théâtre, comme dans les autres genres de sa littérature, l’Angleterre ne sera pas seule à le recevoir de lui. Dans la secousse littéraire qui l’agite, l’Europe continentale tourne les yeux vers Shakspeare. L’Allemagne l’a depuis longtemps adopté pour modèle plutôt que pour guide ; et par là elle a peut-être suspendu dans leur cours les sucs vivifiants qui ne viennent colorer qu’un fruit né du sol. Cependant la voie où l’Allemagne est entrée mène à la découverte des vraies richesses ; qu’elle exploite les siennes propres, la fécondité ne lui manquera point. La littérature de l’Espagne, fruit naturel de sa civilisation, possède déjà son caractère original et distinct. L’Italie seule et la France, patries du classique moderne, s’étonnent du premier ébranlement donné à ces opinions qu’elles ont établies avec la rigueur de la nécessité, et soutenues avec l’orgueil de la foi. Le doute ne se présente encore à nous que comme un ennemi dont on commence à craindre les atteintes ; il semble que la discussion porte un aspect menaçant, et que l’examen ne puisse sonder sans renverser. Dans cette situation, on hésite, comme au moment de détruire ce qu’on ne remplacera point ; on a peur de se trouver sans loi, et de ne rien découvrir que l’insuffisance ou l’illégitimité des principes sur lesquels on se plaisait à s’appuyer sans inquiétude.

Ce trouble des esprits ne peut cesser tant que la question sera posée entre la science et la barbarie, les beautés de l’ordre et les effets du désordre, tant qu’on s’obstinera à ne voir, dans le système dont Shakspeare a tracé les premiers contours, qu’une liberté sans frein, une latitude indéfinie laissée aux écarts de l’imagination comme à la course du génie. Si le système romantique a des beautés, il a nécessairement son art et ses règles. Rien n’est beau pour l’homme qui ne doive ses effets à certaines combinaisons dont notre jugement peut toujours nous donner