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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/138

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NOTICE

sur son frère, il avoit incestueusement souillé la couche fraternelle, abusant de la femme de celui dont il pourchassa l’honneur devant qu’il effectuât sa ruine…

« Enhardi par telle impunité, Fengon osa encore s’accoupler en mariage à celle qu’il entretenoit exécrablement durant la vie du bon Horwendille… Et cette malheureuse, qui avoit reçu l’honneur d’être l’épouse d’un des plus vaillants et sages princes du septentrion, souffrit de s’abaisser jusqu’à telle vilenie que de lui fausser sa foi, et qui pis est, épouser celui qui étoit le meurtrier tyran de son époux légitime…

« Géruthe s’étant ainsi oubliée, le prince Amleth, se voyant en danger de sa vie, abandonné de sa propre mère, pour tromper les ruses du tyran, contrefit le fol avec telle ruse et subtilité que, feignant d’avoir tout perdu le sens, il couvrit ses desseins et défendit son salut et sa vie. Tous les jours il étoit au palais de la reine, qui avoit plus de soin de plaire à son paillard que de soucy à venger son mari ou à remettre son fils en son héritage ; il couroit comme un maniaque, ne disoit rien qui ne ressentît son transport des sens et pure frénésie, et toutes ses actions et gestes n’étoient que d’un homme qui est privé de toute raison et entendement ; de sorte qu’il ne servoit plus que de passe-temps aux pages et courtisans éventés qui étoient à la suite de son oncle et beau-père… Et faisoit pourtant des actes pleins de grande signifiance, et répondoit si à propos qu’un sage homme eût jugé bientôt de quel esprit est-ce que sortoit une invention si gentille…

« Amleth entendit par là en quel péril il se mettoit si, en sorte aucune, il obéissoit aux mignardes caresses et mignotises de la demoiselle envoyée par son oncle. Le prince, ému de la beauté de la fille, fut par elle assuré encore de la trahison, car elle l’aimoit dès son enfance, et eût été bien marrie de son désastre…

« Il faut, dit un des amis de Fengon, que le roi feigne de s’en aller en quelque voyage, et que cependant on enferme Amleth seul avec sa mère dans une chambre dans laquelle soit caché quelqu’un pour ouïr leurs propos et les complots de ce fol sage et rusé compagnon… Cetuy même s’offrit pour être l’espion, et témoin des propos du fils avec la mère… Le roi prit très-grand plaisir à cette invention…

« Cependant le conseiller entra secrètement en la chambre de la reine, et se cacha sous quelque loudier [1], un peu auparavant que le fils y fût enclos avec sa mère. Comme il étoit fin et cauteleux, sitôt

  1. Couverture, courte-pointe.