Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
168
HAMLET.

bleu il finira par vous dire : « Je connais ce gentilhomme, je l’ai vu hier ou l’autre jour, ou à tel moment, ou à tel autre, avec tel ou tel ; et, comme vous dites, il était là à jouer ; où il avalait sa rasade, où il avait une dispute à la paume ; » ou peut-être : « je l’ai vu entrer dans une de ces maisons de commerce, » videlicet, un mauvais lieu,… ou telle autre chose. Voyez-vous maintenant ? Le hameçon de votre mensonge prendra ainsi la carpe de la vérité ; et, voilà comme, nous autres gens de bon sens et de pénétration, à force de machines et en essayant de biais, nous savons indirectement suivre notre direction. C’est ainsi, d’après mes instructions et mes avis ci-dessus, que vous en agirez avec mon fils. Y êtes-vous, ou n’y êtes-vous pas ?

reynaldo. — J’y suis, mon seigneur.

polonius. — Dieu soit avec vous ! Bon voyage.

reynaldo. — Mon bon seigneur…

polonius. — Observez ses penchants par vous-même.

reynaldo. — Ainsi ferai-je, mon seigneur.

polonius. — Et laissez-le chanter sa gamme.

reynaldo. — Bien, mon seigneur.

(Il sort.)
(Ophélia entre.)

polonius. — Adieu ! — Qu’est-ce, Ophélia ? De quoi s’agit-il ?

ophélia. — Oh ! mon seigneur, mon seigneur, j’ai été si effrayée !

polonius. — De quoi, au nom du ciel ?

ophélia. — Mon seigneur, comme j’étais à coudre dans mon cabinet, le seigneur Hamlet, avec son pourpoint tout défait, sans chapeau sur la tête, ses bas froissés, sans jarretières, et tombant, enroulés, jusque sur sa cheville, pâle comme sa chemise, ses genoux se heurtant l’un contre l’autre, et avec un regard d’une expression aussi pitoyable que s’il avait été détaché du fond de l’enfer pour faire un récit d’horreurs… il est venu se poser devant moi.

polonius. — Fou pour l’amour de toi ?