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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/271

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ACTE V, SCÈNE I.

ronnes de jeune fille, ses jonchées de fleurs virginales, et l’accompagnement des cloches et des funérailles.

laërtes. — Ne doit-on rien faire de plus ?

premier prêtre. — Non, rien de plus ; ce serait profaner l’office des morts que de chanter pour elle le Requiem et ce repos réservé aux âmes qui partent en paix.

laërtes. — Placez-la dans la terre, et puissent de sa chair belle et sans tache mille violettes naître ici [1]. Je te dis ceci, prêtre brutal : ma sœur sera un ange protecteur, quand tu seras, toi, tombé là-bas en hurlant !

hamlet. — Quoi ? la belle Ophélia !

la reine, répandant des fleurs. — Les plus douces à la plus douce ! Adieu ! J’avais espéré que tu serais la femme de mon Hamlet ; je pensais, douce fille, à parer de ces fleurs ton lit nuptial, et non à en joncher ton tombeau.

laërtes. — Oh qu’une triple peine tombe trois fois dix fois sur cette tête maudite dont l’action méchante t’a privée de ta très-délicate raison ! Tenez pour un moment cette terre encore écartée, jusqu’à ce que je l’aie saisie une dernière fois dans mes bras. (Il s’élance dans la fosse.) Et maintenant entassez votre poussière sur le vivant et sur le mort, jusqu’à ce que vous ayez fait de cette plaine une montagne qui dépasse le vieux Pélion ou le front céleste de l’Olympe bleu !

hamlet, avançant. — Quel est l’homme dont la douleur comporte une pareille hauteur d’accent, et dont les plaintes vont, comme une conjuration magique, atteindre les astres errants et les arrêter, tels que des auditeurs frappés d’une mortelle surprise ? Je suis cet homme, moi, Hamlet le Danois !

(Il s’élance dans la fosse.)

laërtes, le saisissant. — Que le démon prenne ton âme !

hamlet. — Tu ne pries pas bien. Allons, ôte tes doigts de ma gorge; car bien que je ne sois ni bilieux ni brusque, j’ai cependant au-dedans de moi quelque chose

  1. De même Perse, Sat 1., v. 39 :

    Nunc non e tumulo fortunataque favilla
    Nascentur violæ ?