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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/33

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SUR SHAKSPEARE.

vaincus furent opprimés, mais ils n’eurent point à humilier leur mollesse devant les mœurs brutales de leurs maîtres ; les vainqueurs ne furent pas contraints de subir peu à peu l’empire des mœurs plus savantes de leurs nouveaux sujets. Chez une nation ainsi homogène, et à travers les vicissitudes de sa destinée, le christianisme même ne joua point le rôle qui lui échut ailleurs. En adoptant la foi de saint Rémi, les Francs trouvèrent dans la Gaule un clergé romain, riche, accrédité, et qui dut nécessairement entreprendre de modifier les institutions, les idées, la manière de vivre comme la croyance religieuse des conquérants. Le clergé chrétien des Saxons fut saxon lui-même, longtemps grossier et barbare comme ses fidèles, jamais étranger, jamais indifférent à leurs sentiments et à leurs souvenirs. Ainsi la jeune civilisation du Nord grandit, en Angleterre, dans la simplicité comme avec l’énergie de sa propre nature, indépendante des formes empruntées et de la sève étrangère qu’elle reçut ailleurs de la vieille civilisation du Midi. Ce fait puissant, qui a déterminé peut-être le cours des institutions politiques de l’Angleterre, ne pouvait manquer d’exercer aussi, sur le caractère et le développement de sa poésie, une grande influence.

Un peuple qui marche ainsi selon sa première impulsion, et ne cesse point de s’appartenir tout entier, jette sur lui-même des regards de complaisance ; le sentiment de la propriété s’attache pour lui à tout ce qui le touche, la joie de l’orgueil à tout ce qu’il produit ; ses poëtes animés à lui retracer ses propres faits, ses propres mœurs, sont certains de ne rencontrer nulle part une oreille qui ne les entende, une âme qui ne leur réponde ; leur art est à la fois le charme des dernières classes de la société et l’honneur des conditions les plus élevées. Plus qu’en toute autre contrée la poésie s’unit, dans l’ancienne histoire d’Angleterre, aux événements importants : elle introduit Alfred sous les tentes des Danois ; quatre siècles auparavant, elle avait fait pénétrer le Saxon Bardulph