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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/343

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ACTE III, SCÈNE I.

rait rêver d’autre forme à aimer que la vôtre. Mais je babille un peu trop follement, et j’oublie en le faisant les leçons de mon père.

Ferdinand.

Je suis prince par ma condition, Miranda ; je crois même être roi (je voudrais qu’il n’en fût pas ainsi), et je ne suis pas plus disposé à demeurer esclave sous ce bois, qu’à endurer sur ma bouche les piqûres de la grosse mouche à viande. Écoutez parler mon âme : à l’instant où je vous ai vue, mon cœur a volé à votre service ; voilà ce qui m’enchaîne, et c’est pour l’amour de vous que je suis ce bûcheron si patient.

Miranda.

M’aimez-vous ?

Ferdinand.

Ô ciel ! Ô terre ! rendez témoignage de cette parole, et si je parle sincèrement, couronnez de succès ce que je déclare ; si mes discours sont trompeurs, convertissez en revers tout ce qui m’est présagé de bonheur. Je vous aime, vous prise, vous honore bien au delà de tout ce qui dans le monde n’est pas vous.

Miranda.

Je suis une folle de pleurer de ce qui me donne de la joie.

Prospero.

Belle rencontre de deux affections des plus rares ! Ciel, verse tes faveurs sur le sentiment qui naît entre eux !

Ferdinand.

Pourquoi pleurez-vous ?

Miranda.

À cause de mon peu de mérite, qui n’ose offrir ce que je désire donner, et qui ose encore moins accepter ce dont la privation me ferait mourir. Mais ce sont là des niaiseries ; et plus mon amour cherche à se cacher, plus il s’accroît et devient apparent. Loin de moi, timides artifices ; inspire-moi, franche et sainte innocence : je suis votre femme si vous voulez m’épouser ; sinon je mourrai fille et le cœur à vous. Vous pouvez me refuser pour compagne ; mais, que vous le vouliez ou non, je serai votre servante.

Ferdinand.

Ma maîtresse, ma bien-aimée ; et moi toujours ainsi à vos pieds.

Miranda.

Vous serez donc mon mari ?

Ferdinand.

Oui, et d’un cœur aussi désireux que l’esclave l’est de la liberté. Voilà ma main.