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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/348

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LA TEMPÊTE.

t’avoir battu ; mais, tant que tu vivras, tâche ne n’avoir dans ta tête qu’une bonne langue.

Caliban.

Dans moins d’une demi-heure il sera endormi : veux-tu l’exterminer alors ?

Stephano.

Oui, sur mon honneur !

Ariel.

Je dirai cela à mon maître.

Caliban.

Tu me rends gai ; je suis plein d’allégresse. Allons, soyons joyeux ; voulez-vous chanter le canon[1] que vous m’avez appris tout à l’heure ?

Stephano.

Je veux faire raison à ta requête, monstre ; oui, toujours raison. Allons, Trinculo, chantons.

Stephano chante.

Moquons-nous d’eux ; observons-les, observons-les, et moquons-nous d’eux ;
La pensée est libre.

Caliban.

Ce n’est pas l’air.

(Ariel joue l’air sur un pipeau et s’accompagne d’un tambourin.)
Stephano.

Qu’est-ce que c’est que cette répétition ?

Trinculo.

C’est l’air de notre canon joué par la figure de personne[2].

Stephano.

Si tu es homme, montre-toi sous ta propre figure ; si tu es le diable, prends celle que tu voudras.

Trinculo.

Oh ! pardonnez-moi mes péchés.

Stephano.

Qui meurt a payé toutes ses dettes. — Je te défie… merci de nous !

Caliban.

As-tu peur ?

  1. Troll the catch. L’un des commentateurs de Shakspeare, M. Steevens, parait embarrassé du sens de cette expression. Mais il me semble que les deux mots dont elle se compose s’expliquent l’un l’autre. Troll signifie mouvoir circulairement, rouler, tourner, etc., catch, un chant successif (sung in succession) ; c’est là la définition du canon, sorte de figure que l’Académie appelle perpétuelle, qu’on pourrait aussi appeler circulaire, puisqu’elle consiste dans le retour perpétuel des mêmes passages successivement répétés par un certain nombre de personnes. Ce qui confirme cette explication, c’est que Stephano, accédant au désir de Caliban, appelle Trinculo pour chanter avec lui, puis commence seul (sings), parce qu’en effet un canon, toujours chanté par plusieurs voix, est nécessairement commencé par une seule.
  2. La figure de no-body (de personne) est une figure ridicule, représentée quelquefois en Angleterre sur les enseignes.