Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
380
CORIOLAN.

paternels, tandis que vous les maudissez comme vos ennemis !

second citoyen.—Des soins paternels ? Oui, vraiment ! Jamais ils n’ont pris de nous aucun soin. Nous laisser mourir de faim, tandis que leurs magasins regorgent de blé ; faire des édits sur l’usure pour soutenir les usuriers ; abroger chaque jour quelqu’une des lois salutaires établies contre les riches, et chaque jour porter de plus cruels décrets pour enchaîner, pour assujettir le pauvre ! Si la guerre ne nous dévore pas, ce sera le sénat : voilà l’amour qu’il a pour nous !

ménénius.—Votre malice est extrême : il faut que vous en conveniez, ou bien souffrez qu’on vous taxe de folie. —Je veux vous raconter un joli conte. Peut-être l’aurez-vous déjà entendu ; mais n’importe, il sert à mon but, et je vais le répéter pour vous le faire mieux comprendre.

second citoyen.—Je vous écouterai volontiers, noble Ménénius ; mais n’espérez pas tromper nos maux par le récit d’une fable ; cependant, si cela vous fait plaisir, voyons, dites.

ménénius.—« Un jour tous les membres du corps humain se révoltèrent contre l’estomac. Voici leurs plaintes contre lui : ils disaient que, comme un gouffre, il se tenait au centre du corps, oisif et inactif, engloutissant tranquillement la nourriture, sans jamais partager le travail des autres organes qui se fatiguaient à voir, à entendre, à parler, à instruire, à marcher, à sentir, ayant tous leurs fonctions mutuelles, et servant, en ministres laborieux, les désirs et les vœux communs du corps entier. L’estomac répondit… »

second citoyen.—Ah ! voyons, seigneur, ce que l’estomac répondit.

ménénius.—Je vais vous le dire. « Il répondit, avec une sorte de sourire, qui ne venait pas des poumons (car si je fais parler l’estomac, je peux bien aussi le faire sourire), il répondit donc, avec dédain, aux membres mutinés et mécontents qui, le voyant tout recevoir,