Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
413
ACTE II, SCÈNE I.

brutus.—Il faut le perdre, ou nous perdons notre autorité. Pour arriver à nos fins, ne nous lassons pas de représenter aux plébéiens quelle haine Marcius a toujours nourrie contre eux ; comment il a fait tous ses efforts pour en faire des bêtes de somme, imposer silence à leurs défenseurs, et les dépouiller de leurs plus chers privilèges ; comment il les regarde, sous le rapport des facultés, de la capacité, de la grandeur d’âme, et de l’aptitude à la vie du monde, comme des chameaux employés à la guerre, qui ne reçoivent leur nourriture que pour porter des fardeaux, et qui sont accablés de coups, quand ils succombent sous le poids.

sicinius.—Ces idées suggérées, comme vous dites, dans une occasion favorable, lorsque sa prodigieuse insolence offensera le peuple, enflammeront le courroux de la multitude comme une étincelle embrase le chaume desséché, et allumeront un incendie qui obscurcira pour jamais Marcius. L’occasion ne nous manquera pas, pourvu qu’on l’irrite : c’est une chose aussi aisée que de lancer des chiens contre les moutons.

(Un messager paraît.)

brutus.—Que venez-vous nous apprendre ?

le messager.—On désire votre présence au Capitole. On croit que Marcius sera consul. J’ai vu les muets se presser en foule pour le voir, et les aveugles attentifs à ses paroles. Les matrones jetaient leurs gants sur son passage. Les jeunes filles faisaient voler vers lui leurs écharpes, leurs gants et leurs mouchoirs ; les nobles s’inclinaient comme devant la statue de Jupiter, les plébéiens faisaient une grêle de leurs bonnets ; leurs acclamations étaient comme la voix du tonnerre. Jamais je n’ai rien vu de semblable.

brutus.—Allons au Capitole ; portons-y pour le moment des yeux et des oreilles : mais tenons nos cœurs prêts pour l’événement.

sicinius.—Allons.

(Ils sortent.)