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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/52

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ÉTUDE

cumulaient alors sur le théâtre les moindres productions dramatiques, l’imagination de Shakspeare vit sans doute s’ouvrir devant elle de nouveaux espaces : que d’intérêt, que de vérité à répandre dans cet amas de faits présentés avec une sécheresse grossière ! Quels pathétiques effets à tirer de cette parade théâtrale ! La matière était là, attendant l’esprit et la vie. Comment Shakspeare n’eût-il pas essayé de les lui communiquer ? Quelque incomplets et troubles que pussent être ses premiers aperçus, c’était le rayon naissant sur le chaos prêt à se débrouiller. Or, l’homme supérieur a cette puissance qu’il sait faire luire à d’autres yeux la lumière qui illumine les siens ; les camarades de Shakspeare comprirent bientôt sans doute quels succès nouveaux il leur pouvait procurer en remaniant ces ouvrages informes dont se composait le capital de leur théâtre ; et quelques touches brillantes jetées sur un fond qui ne lui appartenait pas, quelques scènes touchantes ou terribles intercalées dans une action dont il n’avait pas réglé la marche, l’art de tirer parti d’un plan qu’il n’avait pas conçu, tels furent, selon toute apparence, ses premiers travaux et les premiers présages de sa gloire. En 1592, époque à laquelle on peut à peine assurer qu’un seul ouvrage original et complet fût sorti de sa pensée, un auteur mécontent et jaloux, dont il avait probablement beaucoup trop amélioré les compositions, le désigne déjà, dans le style bizarre du temps, comme un « corbeau parvenu, » paré des plumes des auteurs, un factotum universel, enclin, dans son orgueil, à se regarder comme le seul shake-scene « ébranle-scène » de l’Angleterre [1].

Ce fut, on doit le croire, durant l’époque de ces travaux plus conformes à la gêne de sa situation qu’à la liberté de son génie, que Shakspeare chercha à se délasser par la composition du poëme d’Adonis. Peut-être même l’idée

  1. Great’s worth of wit, etc. Pamphlet publié en 1592, par un nommé Green, qui n’était pas le Greene, parent de Shakspeare.