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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/59

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SUR SHAKSPEARE.

originaux, comme un premier essai qu’il aurait ensuite perfectionné. Mais cette opinion ne résiste pas à un examen attentif ; et toutes les probabilités, historiques ou littéraires, se réunissent pour n’accorder à Shakspeare, dans les deux derniers Henri VI, d’autre part que celle d’un remaniement plus étendu et plus important, il est vrai, que ce qu’il a pu faire sur d’autres ouvrages soumis à sa correction. De brillants développements, des images suivies avec art et prolongées avec complaisance, un style animé, élevé, pittoresque, tels sont les caractères qui distinguent l’œuvre du poëte de cette œuvre primitive à laquelle il n’a prêté que son coloris. Quant au plan et à la conduite, les pièces originales n’ont subi aucun changement, et, après les Henri VI, Shakspeare pouvait encore donner Adonis comme le premier-né de son invention.

Quand donc cette invention se déploiera-t-elle enfin dans sa liberté ? Quand Shakspeare marchera-t-il seul sur ce théâtre où il doit faire de si grands pas ? Avant les Henri VI, quelques-uns de ses biographes placent les Méprises et Peines d’amour perdues, les deux premiers ouvrages dont il n’ait à partager avec personne l’honneur ni les critiques. Dans cette discussion sans importance, un seul fait est certain et devient un nouvel objet de surprise. La première œuvre dramatique qu’ait vraiment enfantée l’imagination de Shakspeare a été une comédie ; d’autres comédies suivront celle-ci : il a enfin pris son élan, et ce n’est pas encore la tragédie qui l’appelle. Corneille aussi a commencé par la comédie ; mais Corneille s’ignorait lui-même, ignorait presque le théâtre. Les scènes familières de la vie s’étaient seules offertes à sa pensée ; sa ville natale, la Galerie du palais, la Place royale, voilà où il place la scène de ses comédies ; les sujets en sont timidement empruntés à ce qui l’environne ; il ne s’est pas encore détaché de lui-même ni de sa petite sphère ; ses regards n’ont pas encore pénétré jusqu’aux régions idéales que parcourra un jour son imagination. Shakspeare est déjà poëte ; l’imitation