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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/69

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SUR SHAKSPEARE.

Angelo n’est présenté d’abord ni comme un scélérat, ni comme un hypocrite ; c’est au contraire un homme d’une vertu exagérée dans sa sévérité. Mais la marche du poëme veut qu’il devienne criminel, et il le devient ; son crime accompli, il se repentira autant que le poëte en aura besoin, et il se trouvera en état de reprendre sans effort le cours naturel de sa vie un moment interrompu.

Ainsi, dans la comédie de Shakspeare, toute la vie humaine passera devant les yeux du spectateur, réduite en une sorte de fantasmagorie, reflet brillant et incertain des réalités dont sa tragédie offre le tableau. Au moment où la vérité semble près de se laisser saisir, l’image pâlit, s’efface, son rôle est fini, elle disparaît. Dans le Conte d’hiver, Léontès est jaloux, sanguinaire, impitoyable comme Othello ; mais sa jalousie, née tout à coup et d’un simple caprice à l’instant où il faut que la situation commence à se former, perdra soudain ses fureurs et ses soupçons dès que l’action aura atteint le point où doit naître une situation nouvelle. Dans Cymbeline que, malgré son titre, on doit ranger parmi les comédies puisque la pièce est entièrement conçue dans le même système, la conduite de Jachimo n’est ni moins fourbe, ni moins perverse que celle d’Iago dans Othello ; mais son caractère n’a point expliqué sa conduite, ou plutôt il n’a point de caractère ; et toujours prêt à dépouiller le manteau de scélérat dont l’a revêtu le poëte, dès que l’intrigue touchera à son terme, dès que l’aveu du secret que lui seul peut révéler sera nécessaire pour faire cesser, entre Posthumus et Imogène, la mésintelligence que lui seul a causée, il n’attendra pas même qu’on le lui demande, et il méritera ainsi d’avoir part à cette amnistie générale qui doit être la fin de toute comédie.

Je pourrais multiplier à l’infini ces exemples ; ils abondent non-seulement dans les premières comédies de Shakspeare, mais encore dans celles qui ont succédé à ses plus savantes tragédies. Partout on verrait les caractères aussi peu tenaces que les passions, les résolutions aussi